Pendant les trois premières décennies de son existence en tant que télévision nationale et porte-parole d´un régime dont la coloration islamo-baâthiste n´est un secret pour personne, «la voix de son maître», dans la politique de «restauration» de l´identité nationale a connu quelques portraits de personnages phares qui serviraient de repères aux générations montantes formées par l´école fondamentale (comme quoi la télévision a toujours assuré les cours du soir pour ceux qui n´ont pas assimilé les leçons de la journée). Donc, ce sont des personnages comme Ben Badis et l´Emir Abd-El-Kader qui seront les exemples de la jeunesse algérienne. Si pour le premier on a crée Youm El Ilm pour commémorer la date de sa disparition (pourquoi donc?), pour le second, c´est un éternel hommage rendu au résistant à la colonisation et au créateur d´un embryon d´un Etat éphémère: des statues sont érigées et des noms de rues, de places, de mosquées, de lycées portent désormais son nom. La télévision algérienne lui consacre au moins trois portraits. Et pourtant, connaît-on au moins cet illustre personnage dont on n´a retenu que le rôle de résistant? Beur TV vient de combler cette lacune en nous invitant à découvrir un personnage pluridimensionnel. C´est sous la forme d´une confession et sur le ton de confidence que l´auteur de cet imposant documentaire qu´a fait le chemin du retour aux sources : l´auteur revient en Algérie après un séjour en France pour essayer de reconstituer l´histoire du personnage confisquée par un pouvoir en mal de légitimité. Il dénoncera la récupération de l´Emir par le régime de Boumediene qui a fait, en grandes pompes, rapatrier ses cendres pour lui réserver une place à côté de lui au Carré des martyrs à El Alia. Ce sont les bulldozers du même régime qui ont détruit parallèlement la zaouïa où le jeune Emir a étudié les préceptes d´Ibn Arabi, le maître du soufisme dont l´Emir va devenir un ardent et talentueux pratiquant. L´auteur va vite passer sur les succès militaires de l´Emir et sur sa reddition. C´est au Château d´Amboise, où l´Emir va passer quatre années avec les siens que sa personnalité, par sa culture et son ouverture d´esprit va rayonner sur les grands esprits et les belles lettres de l´Occident. Son salon littéraire va attirer tous les grands noms de toutes les confessions et va lui valoir une grande admiration du Prince-Président Louis Napoléon Bonaparte. Ce dernier le libère en lui octroyant une très forte pension. L´Emir va se fixer à Damas, refuge de son maître Ibn Arabi. Des milliers de réfugiés maghrébins vont le rejoindre. C´est à Damas qu´il va donner la pleine mesure de sa culture et de ses talents. Professeur, il va s´entourer de nombreux élèves. Il anime des conférences dans le Hedjaz, patrie de ses ancêtres. Il est aussi un entrepreneur avisé qui possède des unités artisanales florissantes (four, moulin). Il contacte des banquiers européens pour financer la route Damas-Beyrouth et soutient Lesseps pour le projet du canal de Suez. Il entretient une correspondance suivie avec toutes les personnes qu´il a croisées (curés, épiciers, marins, princes, écrivains...). Il lève une armée de Maghrébins pour sauver les chrétiens de Damas d´un massacre annoncé, ce qui lui vaudra l´éternelle reconnaissance des chrétiens d´Europe et du Moyen-Orient. Napoléon III lui offre le trône d´un grand royaume arabe, prélevé sur l´empire ottoman. En homme avisé, l´Emir refuse. Le reste du documentaire s´attache à décrire l´état lamentable dans lequel se trouvent les résidences de l´Emir. Des ruines désaffectées promises à la démolition dans l´indifférence générale des Etats syriens et algérien. Mais l´association soufie dirigée par Bentounès s´efforce de restaurer les lieux et places d´Algérie.