Pour un artiste, cela doit être dur de raccrocher, de renoncer à ce qu´il avait l´habitude de faire avec un plaisir certain. Cela doit être encore plus difficile à supporter pour ses admirateurs, qui avaient l´habitude de partager avec lui d´inoubliables moments de bonheur. C´est pourtant ce qu´a annoncé, hier, Bernard Pivot à l´issue de sa fameuse dictée qui a valu les «dicos d´or» à des jeunes étudiants de la région parisienne. Ce grand prêtre qui a l´habitude de célébrer, par ses dictées, judicieusement choisies parmi les textes les plus escarpés de la littérature française, les grandes messes à la gloire d´une langue qui n´en finit pas de perdre du terrain face à sa concurrente et cousine, la langue de la perfide Albion, a déclaré avec une grande émotion, d´ailleurs partagée par les innombrables participants au concours, qu´il abandonnait la formule de la dictée. Ce n´est pas pour autant qu´il faille voir par là une quelconque retraite pour cet infatigable lutteur au service de la langue de Molière. C´est qu´en homme de télévision, il a vite compris que pour durer, il faut se renouveler. Le créateur des émissions culturelles de haut niveau a pris le relais des célèbres veillées de Pierre Desgraupes, Roland Dumayet et Max Favalleli qui ont donné à beaucoup de gens le goût de la lecture. Je pense que c´est le talent de Bernard Pivot qui a fait que les nombreuses émissions littéraires qu´il a animées à des heures où beaucoup de gens frileux ont l´habitude de se mettre sous la couette, ont eu tant de succès. C´est qu´il a tant de cordes à son arc ! Après Entre guillemets, Apostrophes et Bouillon de culture où il a soumis sympathiquement à la question tous les grands écrivains du monde entier sans jamais les indisposer, mettant ainsi à la portée de tous des personnages réputés inaccessibles, il a animé plusieurs manifestations à la gloire de la langue française. Dans un pays où malgré le développement et la multiplication des chaînes télévisées, la lecture est un sport national très prisé. Il faut dire que toutes les conditions s´y prêtent : le livre est à la portée de toutes les bourses, la production littéraire est pléthorique encouragée par une activité libraire unique au monde: de nombreux concours littéraires sont organisés chaque année pour encourager et récompenser les meilleurs auteurs. Cela ne suffisant pas et criant au loup, devant les progrès de la langue anglaise, la télévision multiplie les émissions littéraires. FR 3 diffuse chaque jour une émission de cinq minutes sur la présentation d´un livre qui, d´une manière succincte, invite le téléspectateur à se convertir en lecteur. PPDA et Guillaume Durant ont, chacun, leur émission littéraire mais c´est sans rapport avec la verve de Bernard Pivot dont le questionnaire subtil a été repris par des animateurs des chaînes américaines. Mais la lutte pour la francophonie ne se limite pas à cela: des portes de langue sont organisées par le même Pivot auxquelles sont invités les chanteurs et poètes francophones du monde entier. Double je est la dernière création où Bernard Pivot invite des écrivains et des artistes francophones. Après la dictée, on ne sait pas ce que nous réserve Bernard.