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Kiev ne croit pas aux larmes
Publié dans L'Expression le 30 - 11 - 2004


Ce qui se passe en Ukraine est un épisode tardif de la guerre froide qui oppose depuis les années cinquante Moscou au monde occidental. Et pourtant, le bloc de l´Est a volé en éclats. Les pays qui formaient, dans l´ancien bouclier du pacte de Varsovie, l´ex-glacis communiste ont rejoint l´Otan et l´Union européenne avec armes et bagages. Mais Moscou, on ne sait quelle mouche l´a piquée, a réveillé ses vieux démons. La pièce s´est jouée en deux actes à quelques jours d´intervalle seulement. Dans un premier temps, Vladimir Poutine déclare devant un parterre de spécialistes que la Russie prépare une arme nucléaire d´un nouveau type, ne craignant pas de relancer la guerre des étoiles et la course aux armes de destruction massive. La deuxième manche s´est jouée à guichets fermés avec cette élection présidentielle en Ukraine, Poutine s´affichant ouvertement avec le président sortant pour soutenir le candidat du pouvoir, le Premier ministre Ianoukovitch. Il n´en fallait pas plus pour faire sortir tout le gratin du monde occidental de ses gonds, de Colin Powell à Javier Solana, en criant à la fraude électorale. Et Poutine d´enfoncer le clou en étant le premier à féliciter le nouveau président élu, quitte à demander aux autres capitales de ne pas griller les étapes et d´attendre l´annonce des résultats officiels. Quant au petit peuple de Kiev, sûr de son bon droit, il n´a pas accepté qu´on lui vole sa victoire électorale. Il n´en a cure lui des petits calculs géopolitiques du Kremlin et des capitales occidentales. Pendant des jours, on l´a vu organiser sa protesta, de nuit comme de jour, sous un froid glacial digne de la Sibérie. Ainsi va l´histoire, Hitler et Napoléon lui-même s´étaient cassé les dents dans les glaces moscovites. On n´arrête pas la roue du temps : la glasnost et la perestroïka étaient venues à bout de l´ours soviétique, mais lorsque la mission historique de Gorbatchev était arrivée à sa fin, il dut céder le sceptre à Boris Eltsine, qui prit de la bouteille, au propre et au figuré, et dut à son tour passer le témoin à Poutine. En exhumant aujourd´hui l´arme nucléaire, ce dernier a-t-il mesuré toute la portée de son geste? En revanche, le tournant que prend le scénario ukrainien est le pire qui puisse être imaginé, puisqu´on voit pointer à l´horizon le spectre de la sécession et de la balkanisation. Pour l´heure, l´affrontement n´est que verbal, mais il est à souhaiter que les efforts de médiation tentés de part et d´autre finissent par porter leurs fruits et que des règlements pacifiques de la crise soient proposés pour ramener la paix dans le pays et dans la région. Cela dit, peut-on faire une lecture algérienne de cet événement qui se passe loin de nos frontières? L´occupation des rues et des places publiques, l´Algérie a déjà connu cela. C´était en 1991. Une gestion au pifomètre de la crise générée par cette occupation a débouché sur une décennie d´anarchie politique, de violence terroriste, de récession économique, de paupérisation sociale. L´Etat a failli s´effondrer et le pays perdre sa souveraineté en passant sous les fourches caudines du FMI. Heureusement que le peuple algérien, qui n´a pas répondu à l´appel des sirènes, a su faire preuve de maturité et de clairvoyance politiques. Il a compris à temps que les appels au coup d´Etat militaire et à la désobéissance civile, on sait comment ça commence mais on ne sait pas comment ça finit. Le vieil atavisme hérité de l´ère des aggiornamentos et des putschs avait, certes, produit des avatars, mais ils étaient démasqué et les gens n´étaient pas prêts à se laisser conduire comme des moutons de Panurge. Slimane Amirat avait dit: «Si j´avais à choisir entre l´Algérie et la démocratie, je choisirais sans hésiter l´Algérie». Da Slimane avait raison. Seulement la situation a évolué. L´Algérie, même dans la douleur, ne peut se faire sans la démocratie, qui est devenue aussi vitale que l´air qu´on respire. La démocratie suppose que nul ne peut s´arroger le droit de dicter au peuple la conduite à tenir ni le choix de ses dirigeants. Et le peuple est comme un long fleuve tranquille. Il sait où se trouvent ses intérêts, et d´où souffle le vent... de la discorde.

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