Moscou qui s´est félicité de la mort du président tchétchène Aslan Maskhadov, tué mardi en Tchétchénie, ne semble pas percevoir le fait qu´il vient surtout de scier l´arbre sur lequel il était assis, en d´autres termes avoir fermé toute possibilité ultérieure de prendre langue avec les indépendantistes tchétchènes. De fait, la disparition du leader tchétchène, qui restait le seul interlocuteur légitime de Moscou, connu aussi pour sa modération, va plonger la Tchétchénie dans l´inconnu. En fait, dans une déclaration prémonitoire, qui a toutes les allures d´un testament, faite vendredi dernier, quelques jours avant qu´il ne soit abattu par l´armée russe, Aslan Maskhadov indiquait: «J´ai la conviction profonde que (le président russe) Poutine est loin de la réalité de ce qui se passe aujourd´hui en Tchétchénie». En effet, la guerre de Tchéchénie entre dans sa quinzième année sans que n´apparaisse un début de solution du fait même que le président Poutine a décidé que le seul langage à opposer aux indépendantistes tchétchènes était celui de la force et de la répression, privilégiant ainsi une solution militaire alors que le problème est fondamentalement politique. En fait, avec la mort de Maskhadov, Moscou a coupé tous les ponts avec la rébellion tchétchène. Or, seul Aslan Maskhadov, qui a toujours condamné les prises d´otages et les actions violentes contre les civils, avait suffisamment d´ascendant sur ses compatriotes et constituait pour eux une force modératrice. En éliminant Maskhadov, l´un des rares politiques de la rébellion tchétchène, Moscou laisse la voie libre aux radicaux tchétchènes qui, comme le chef militaire Chamil Bassaiev, sont opposés aux négociations avec le Kremlin. D´ailleurs, la réaction tchétchène a été rapide et les radicaux prennent d´ores et déjà date. C´est ainsi que leur site Internet Kavkazcenter.com, prévient «Aslan Maskhadov était le seul à penser qu´on pouvait encore discuter avec Moscou (...). Il n´y a pas et ne peut y avoir de négociations avec l´empire russe. L´empire ne peut être qu´éliminé», ajoute le site, qui précise «plus aucune offre de négociation ne serait faite». C´est quelque peu un retour en arrière dans la mesure où le Kremlin ne semble avoir tiré aucun enseignement de la mort, dans les mêmes conditions en 1996, du président tchétchène Djoukhar Doudaiev, tué par un missile de l´armée russe. Or, loin de donner la victoire à la Russie, la mort de Doudaiev s´est soldée, quelques mois plus tard, par une humiliante défaite de l´armée russe à Grozny, capitale de la Tchétchénie. Après quelques années d´accalmie, le président russe, Vladimir Poutine, relance la guerre en faisant réoccuper Grozny par son armée en 1999. Depuis, la situation a connu des hauts et des bas sans que l´armée russe arrive à prendre la mesure des Tchétchènes qui luttent pied à pied alors que, parallèlement, Aslan Maskhadov faisait plusieurs offres de négociation, toutes rejetées par Moscou. D´ailleurs dans la déclaration-testament citée plus haut, Maskhadov indiquait: «La guerre va continuer. Les moudjahidine tchétchènes se battront jusqu´au bout, et cette guerre va embraser tout le Caucase du Nord» affirmant: «si les dirigeants de la Russie d´aujourd´hui n´ont pas suffisamment de sagesse pour arrêter cette guerre, ils seront remplacés demain par d´autres, qui y mettront fin de toutes façons, mais dans la plus grande honte». Il ne fait pas de doute que la problématique tchétchène restera pour la Russie son talon d´Achille car, à moins d´éliminer le peuple tchétchène, en procédant à un nouveau génocide, Moscou devra bien, un jour ou l´autre, reprendre le dialogue avec les Tchétchènes. Dédaignant un règlement politique qui aurait pu limiter les dégâts et rapprocher les deux pays, le président Poutine a privilégié, dès son accession au pouvoir, la main de fer en ne laissant aucune chance à une sortie de crise négociée. Or, la solution militaire n´a jamais triomphé, comme en témoignent nombre de dossiers similaires, et la mort de Maskhadov pas plus que celle de Doudaiev avant lui, n´apportera aucune accalmie et risque de n´être pour Moscou qu´une victoire à la Pyrrhus, sans lendemain, quand la violence se poursuivra et que les morts continueront de s´accumuler. De fait, dans le cas de figure de la Tchétchénie, qui reste un territoire différencié de la Russie mais associé à la Fédération de Russie, la méthode Poutine peut se révéler à terme désastreuse pour la paix et la sécurité dans le Caucase du Nord. Maskhadov déclarait encore vendredi: «Il ne peut y avoir de vainqueur dans cette guerre. Celui qui ne l´a pas compris est loin de la réalité». M.Poutine aura-t-il la sagesse d´interpréter correctement ce message posthume du président tchétchène Aslan Maskhadov?