Sans Ouyahia, l´alliance se résumerait à un duo Belkhadem-Soltani qui est très loin de constituer un facteur de diversité. Belkhadem s´était opposé à l´interruption des élections en militant pour le respect du «choix populaire». Idem pour le parti de Soltani. Idem également pour Djaballah qui a préféré ne pas rejoindre l´alliance dans le cadre d´une distribution des tâches entre les islamistes. Sans Ouyahia dont on pourrait dire qu´il représente la vision de ceux qui ne voulaient pas tenter l´aventure d´un gouvernement exclusivement islamiste, Bouteflika ne se serait appuyé que sur ceux qu´on pourrait qualifier d´islamisants. Ça en serait fini des équilibres qu´il a invoqués. Pour éjecter du cercle des décideurs Ouyahia et le courant que celui-ci représente, Belkhadem revendique le fait majoritaire à l´effet du FLNiser le gouvernement, ou du moins la conduite des actions de l´exécutif. Il y aurait ainsi une triple rupture de l´équilibre. Une rupture de l´équilibre idéologique, une rupture de l´équilibre régional, notamment depuis que Karim Younès a été dépossédé de son poste de président de l´APN, et peut-être une rupture de l´équilibre des forces, Ouyahia étant analysé comme représentant ceux qui s´interdisent de faire des incursions dans le champ politique, qui ont stoppé la montée en puissance du FIS, qui ont combattu et qui combattent le terrorisme. Ouyahia représente l´option de la posture globale de défense, celle qui combine l´exploration d´une voie non militaire comme instrument d´érosion des rangs des groupes armés, en accompagnement de la détermination à intensifier l´emploi des moyens de force contre ceux des éléments pratiquant la violence qui refusent de se soumettre aux conditions définies dans la charte. Il est significatif qu´il adopte un ton de fermeté en répétant que les groupes armés ne se verront pas offrir une quatrième chance par rapport à ses cocontractants de l´alliance qui promettent déjà une amnistie générale en faveur de ceux qui continueront encore à tendre des embuscades aux forces de sécurité et à commettre des attentats. Ouyahia, en tant que chef du gouvernement responsable de la protection des biens et des personnes, investit dans la dissuasion pour qu´il n´y ait pas des morts de plus, car des morts de trop. Ceux qui déjà prônent l´inéluctabilité de l´amnistie générale annoncent ainsi leur intention de faire passer par «pertes et profits» les futures victimes des groupes armés qui savent déjà qu´il leur sera pardonné les futurs attentats qu´ils commettront. Ouyahia ne rejette pas l´idéologie de la paix dans le cas où les groupes armés renoncent à continuer la pratique de la violence, mais s´inscrit déjà dans l´idéologie de l´ordre à rétablir face aux irréductibles. Ouyahia est dans le rôle de chef de gouvernement, dans son rôle de stratège qui tient à ne pas gaspiller l´utilisation stratégique de l´instrument militaire, car c´est ce dernier qui peut exercer une réelle pression à l´effet de rabattre les groupes armés vers la réconciliation nationale en rendant sans objet politique la pratique de la violence. Par contre, se passer de l´instrument de dissuasion que représente la détermination à s´appuyer sur l´emploi des moyens de force reviendrait à faire l´aveu de l´impuissance des forces de sécurité et donc à créer, en faveur des groupes armés, une nouvelle génération de «dix-neuf marsistes», c´est-à-dire leur permettre d´élargir l´assise des recrutements. Il s´en trouvera sûrement de ceux qui analyseront ces divergences au sommet comme procédant de la pure diversion, mais il est à reconnaître qu´Ouyahia, bien qu´on dise de lui qu´il est plus un commis de l´Etat qu´un politique, ne ressemble nullement à Belkhadem, à Soltani ou à Djaballah. Pousser Ouyahia hors de l´échiquier du pouvoir reviendrait à en faire un opposant, capable, avec ses qualités de tribun, de fédérer tous ceux qui ont combattu le terrorisme, en partant de l´idée qu´Ouyahia ne s´est pas fait tout seul.