Le bus, avant d´amorcer l´ultime montée qui devait amener Mouh vers sa destination, s´était engagé dans une rue étroite et sale. Des ordures de toutes sortes jonchaient le trottoir, le caniveau. Le soleil ardent mettait à nu l´état de saleté des lieux. Les commerçants n´avaient pas encore ouvert boutique: ils avaient l´habitude de balayer devant leur porte et de pousser les ordures vers le caniveau. Les balayeurs municipaux continuaient le reste du travail quand il leur arrivait de passer par là, ou bien il faudra attendre la prochaine pluie qui emportera les immondices vers le prochain avaloir bouché. D´ailleurs, même les commerçants ne balayaient plus: cela encourageait les gamins à venir s´installer sur les trottoirs pour vendre des cigarettes, des pétards, de la chique artisanale et mille autres objets d´origine douteuse. Personne ne trouvait à redire. Les ordures s´accumulaient, papiers, cartons, sacs en plastique...Seule la prochaine visite d´une autorité quelconque poussera les responsables municipaux à donner un coup de balai ou à laver à grande eau. Quand c´est une grosse légume qui se hasarde à s´aventurer par ici (et c´est rare), ce sont les murs lépreux livrés à une armée de peintres improvisés qui, en quelques jours, vont donner un autre aspect à ce quartier abandonné. Puis, après la visite officielle, tout redeviendra comme avant. Les jeunes réinvestissent les trottoirs et les policiers qui, quelques jours plus tôt, leur menaient une chasse sans merci, les regardaient à présent d´un oeil affable. Et les trottoirs? Ils avaient été refaits chaque année. Chaque saison voyait des ouvriers décontractés desceller les pavés les remplacer par des carreaux d´une grande dimension. Avant même que cela ne soit achevé, un autre chantier s´installait à l´autre bout de la rue: le service des eaux défonçait la chassée...Et tout est à recommencer! Mouh regarda avec tristesse, la grille qui fermait l´ancienne salle de cinéma dont les deux battants, mal ajustés, accentuaient l´état d´abandon des lieux. Encore une salle borgne. Lesprit de convivialité avait disparu en même temps que les cinémas. Et pourtant, il n´y a pas si longtemps...Que le temps passe vite! En quelques décennies, les trois cent cinquante salles de cinéma léguées par l´abject régime colonialiste avait changé plusieurs fois de main: des comités de gestion de l´indépendance puis au CAC, puis aux municipalités, les malheureuses salles ont fini par atterrir aux mains du privé qui les a transformées en gargotes ou en sinistres lieux de visionnage de films malsains enregistrés sur bande vidéo. Fini l´atmosphère magique qui précède la projection du film. Les amis ou les couples qui traînent devant une affiche aguicheuse qui interpelle le passant. La queue devant la caisse. L´ouvreuse, une lampe à la main qui installe les clients. Le grand rideau qui tremble sous l´effet de la faible ventilation. La musique lointaine qui berce le public et qui vient on ne sait d´où, poussée par une main attentive. Puis les lumières qui s´éteignent une à une: les spectateurs réajustent leur position et se calent au fond des sièges. Les couples se rapprochent un peu plus. Puis une lumière aveuglante transperce les ténèbres et une musique joyeuse annonce les actualités. Les mains des amoureux se cherchent. Des brouillons de baisers commencent à s´ébaucher. La voix du commentateur couvre les soupirs. Toute l´attention du public est fixée sur l´écran magique où s´agitent d´éphémères images qui resteront pourtant longtemps gravées dans les mémoires.