Dans le scénario des élections, il y a un personnage principal, celui que l´on appelle le héros ou le protagoniste, comme il se doit. C´est le colleur d´affiches. En effet, c´est lui qui donne son piment à la dramaturgie du scrutin. Voyons voir: quelques semaines avant le lancement officiel de la campagne électorale, les autorités ont mis le décor en place, des panneaux ont été installés dans des endroits stratégiques des villes et des villages. Peints en blanc et flambant neuf, ces panneaux n´attendent qu´une chose: recevoir les affiches et les portraits des candidats. Et justement, pour ce qui est des affiches, les partis politiques les ont préparées, les imprimeries les ont tirées. Il ne manque plus qu´une chose: les pots de colle et les brosses pour enduire les panneaux. Justement, les fabricants de colle et de brosse se sont chargés de leur fabrication et des camionneurs ont assuré le transport pour les mettre à la disposition des partis et des candidats. Ce qui fait que jeudi dernier, 26 avril, à zéro heure, lorsque le coup de starter de la campagne a été donné, le héros des élections (le colleur d´affiches) est entré en action. Ayant enfilé sa tenue de travail (salopette, casquette), cigarette au bec, il a chargé les affiches dans une camionnette mise à sa disposition par le parti et il est entré dans la peau de son personnage. Néanmoins, son rôle, il ne le joue pas devant les caméras, mais dans l´obscurité de la nuit, à l´abri des regards. Entre minuit et deux heures du matin, les colleurs d´affiches des différents partis (ils se ressemblent tous et quelque part ils ont des points communs et même ils sont solidaires entre eux), font tous les mêmes gestes. Remplir les panneaux avec les affiches. Son travail fini, vers deux heures du matin, il rentre chez lui, heureux, satisfait...Il siffle une soupe et s´endort à poings fermés. Eh oui! Mais comme dans tout scénario qui se respecte, celui des élections à son héros, mais aussi son méchant, son antagoniste. Pour mieux épicer la dramaturgie. Ici, en l´occurrence, le rôle du méchant est campé par l´arracheur d´affiches. Entre trois heures et quatre heures du matin, il se met en mouvement. Sans casquette, sans salopette, totalement anonyme, les mains dans les poches pour faire semblant de rien, il déchire, écorne, écrit des inscriptions sur ce qui reste des affiches. Quels sont ses outils de prédilection? Un cutter, et un marqueur. Parfois un pot de peinture. Il efface tout le travail réalisé par le colleur d´affiches. Et lui aussi, vers quatre heures du matin, rentre chez lui, sirote un café bien chaud, heureux, satisfait. On peut dire: un but partout. Ce qui fait qu´à partir de sept heures du matin, le public et les citoyens auxquels est censé s´adresser ce spectacle nocturne ne s´aperçoivent de rien. Les panneaux qui étaient blancs sont devenus un peu plus sales. On a partout des affiches en lambeaux et des graffitis aux noms d´oiseau. Et à leur réveil, les colleurs d´affiches sont frappés de stupeur en découvrant les dégâts. Alors tous ces colleurs d´affiches se réunissent, se concertent. Ils décident de passer à l´offensive. «Puisque c´est comme ça, décrète le chef des colleurs d´affiches, on va faire dans l´affichage sauvage». Et c´est ainsi que l´on a, désormais, des affiches dans des endroits censés être inaccessibles. Un autre accessoire fait son apparition. L´échelle. Parfois même, on utilise des grues, ou des spiders. Aux grands moyens, les grands remèdes; Cette fois, il ne s´agit plus de se contenter des panneaux. Mais on vise les façades les plus hautes, les terrasses perchées, les arbres dont la cime flatte les nuages. Le colleur et l´arracheur sont la base même de la démocratie. On se demande même s´il ne faut pas inverser les rôles. Le héros ne serait-il pas l´arracheur et le méchant le colleur, puisque c´est le premier qui a le courage de dire non à la manip.