Il était une fois, un lointain pays où les gens menaient une vie fort simple comme tous les peuples de la terre. Ce pays était gouverné par un monarque éclairé qui a passé toute sa jeunesse et tout son âge d´homme mûr à travailler pour le bonheur de son peuple. Ce bonheur, on pourrait non seulement le voir dans les nombreux temples, écoles et hospices construits les premières années de son règne, mais on pourrait aussi le retrouver dans la culture du peuple. Tout le monde savait lire et écrire grâce aux efforts du monarque qui encourageait les belles lettres, les poètes et les conteurs étaient toujours les bienvenus à la cour du roi et chaque année, à l´occasion de la fête nationale, était organisé un concours où tous les tresseurs de mots étaient invités à rivaliser d´adresse et d´audace pour remporter la palme d´or que le roi accrochait généreusement au front du vainqueur, car le roi était un pur critique en matière de Belles-lettres. Il savait débusquer le plagiaire et distinguer l´innovateur. De tous les poètes du royaume, Zadig était celui qui se distinguait le plus. Il était adroit, rusé, fin, enjoué et savait manier comme pas un le lyrisme à l´ironie. Chacun de ses textes était digne d´une thèse. Mais voilà, le temps passe et les choses changent. Le poète, comme le monarque, le vizir ou le savetier, subissent les atteintes du temps, le monarque surtout de par son statut, souffrait du poids de l´âge, il sortait moins et il ne pouvait plus contrôler de visu, les rapports de ses commis. Comme de bien entendu, les rapports, passant par la voie hiérarchique, étaient édulcorés au fur et à mesure qu´ils traversaient les étapes obligatoires. Quand ils arrivaient entre les mains du grand Vizir, celui-ci les lisait avec emphase et concluait toujours: «Vous voyez que tout va pour le mieux Majesté». Par contre, les poèmes de Zadig qui étaient jadis vifs, gais et qui ruisselaient d´optimisme étaient devenus au fil du temps grinçants, sarcastiques et même hargneux. Et cela eut un effet fâcheux sur le chiffre d´affaires de l´imprimeur qui vit ses commandes baisser à vue d´oeil. Un jour, il ne tint plus et il fit appeler Zadig à qui il déclara: «Zadig, ton boeuf et mon boeuf sont attelés à la même charrue. Si le tien avance, le mien sera gêné et s´arrêtera. Alors, je te demande de faire un effort d´inspiration et de produire, comme autrefois, tes meilleures perles. Autrement, Sa Majesté sera obligée d´en amener des royaumes voisins. Tu te rends compte, tes poèmes sont devenus tristes, plus personne ne veut les lire à la cour.» A ces mots, Zadig leva les yeux au ciel et demanda à l´imprimeur: «Quel temps fait-il? -Il fait mauvais et il risque même de pleuvoir. -Alors moi, je ne peux pas écrire qu´il fait beau et que les oiseaux chantent, le poète est semblable au miroir: il reflète ce qu´il voit et ce qu´il sent. Cependant, en égard de l´amitié qui nous lie, je mentirai dorénavant.» Et Zadig se mit alors à produire des oeuvres dithyrambiques, louant Sa Majesté, les vizirs et même les prédicateurs qu´il avait en horreur. Et ses contes devinrent plats, ses poèmes longs et ennuyeux, sans relief. Les affaires de l´imprimeur ne s´arrangeaient pas et Zadig revint vite à ses premiers accents: ceux de la sincérité.