La passion du football, la ferveur et la liesse qui ont suivi l´historique victoire de l´Equipe nationale, l´achat du mouton de l´Aïd et les problèmes qui y sont liés, les fumets de bouzelouf grillé, qui s´échappent des balcons, l´odeur de la «douara» ont quelque peu fait un écran de fumée qui a masqué une grève importante, puisqu´il s´agit de celle des enseignants, ces travailleurs dont la tâche principale est de former, d´instruire la prochaine génération, celle qui ira aux urnes ou n´ira pas, celle qui manifestera dans les rues (si toutefois l´état d´urgence est levé un jour) son mécontentement ou sa joie, celle qui contribuera à édifier le pays sous la férule de celle qui a suivi des cours à l´étranger, celle qui oeuvrera ici et qui peut toujours attendre quatre décennies pour avoir un logement ou celle qui mettra une voile à un radeau pour partir vite, très vite, au loin, au plus loin. C´est une émission de télévision très courte sur l´origine des expressions qui m´a remis en mémoire le prestige dont jouissait jadis l´instituteur ou le professeur quand l´instruction était une chose capitale pour celui qui voulait sortir de la misère où le confinait l´indigénat. Ce n´est pas ici qu´on va s´éten-dre sur les causes du déclin d´une profession qui était non seulement honorable, mais était aussi entourée de respect. Il faut dire que dans l´océan d´ignorance d´alors, l´instruction, c´était la lumière et bien que les instituteurs d´origine locale étaient rares, ils étaient d´une grande compétence et rivalisaient de culture avec leurs collègues d´origine européenne. Mais c´était surtout la méthode que ces instituteurs, toutes origines confondues, employaient pour faire rentrer dans nos cerveaux imperméables, des mots et des sonorités étrangères à nos oreilles. C´est évidemment le cours de français (dictée, composition française et vocabulaire) qui était le plat de résistance de l´enseignement à l´école primaire. Le cours de vocabulaire, particulièrement, mobilisait toute l´attention des écoliers. Il commençait toujours par l´accrochage au tableau d´un grand panneau sur papier cartonné, qui montrait une activité particulière: la chasse et ses principaux acteurs, le forgeron dans son atelier, la ferme... Le cours coïncidait souvent avec l´actualité du moment. Je me souviens bien du cours sur la ferme. Le panneau présentait un tableau où figuraient les principaux bâtiments formant une ferme modèle française de l´époque: le bâtiment central où logeait le fermier, l´étable, la bergerie ou la porcherie, la grange, la remise avec tous les principaux outils rangés, la fosse à purin, l´abreuvoir dans la cour, le poulailler et évidemment toutes les sortes d´animaux qu´on pouvait trouver dans une ferme métropolitaine: vaches, boeufs, taureaux, veaux, chevaux, juments, poulains, cochons, truies, porcelets, moutons, brebis, agneaux, chèvres, boucs, chevreaux, poules, coqs, poussins, oies, jars et oisillons, canards, dindons et pintades. Il y avait un tel foisonnement que l´écolier qui avait l´habitude dans sa vie quotidienne de voir de maigres troupeaux réduits à une ou deux espèces animales, se mettait à rêver, émerveillé, d´une telle richesse. L´instituteur ne se contentait pas d´enseigner les mots de vocabulaire afin qu´ils soient mémorisés mécaniquement par l´écolier. Il faisait lire des textes se rapportant à l´activité agricole, comme la farce de Maître Pathelin ou l´épisode des moutons de Panurge. C´était l´occasion aussi de servir quelques expressions purement françaises issues du terroir. La semaine se terminait par l´apprentissage d´une chanson du même cru et par la rédaction d´un texte ayant trait à l´expérience de l´école dans ses contacts avec les animaux. Et à l´époque de l´Aïd, c´était un sujet qui tombait à point.