Le contexte sécuritaire demeure encore superbement opaque pour permettre toutes les exégèses imaginables à propos des ravisseurs. Il est un fait qui agace et fait grincer les dents des spécialistes du sécuritaire : la cacophonie officielle entretenue en très haut lieu des cercles décideurs au sujet de l'identité des preneurs d'otages. On s'en souvient, dès le début des opérations de recherches des touristes disparus, il y eut vite ce démenti des autorités algériennes concernant l'identité des ravisseurs. Ce démenti excluait toute implication islamiste et privilégiait la piste des cigarettiers et des contrebandiers. Ce n'est que le 14 avril qu'on parlait, pour la première fois, d'un enlèvement. Par qui? On n'en soufflait mot. Puis, coup sur coup, trois ministres algériens, ceux de la Communication, du Tourisme et de l'Intérieur, se sont lamentablement télescopés, les uns empiétant sur les prérogatives des autres et, en fait, portant le discrédit les uns aux autres, avant que l'information ne soit donnée concernant la libération, après l'assaut des militaires, des otages retenus dans l'erg oriental. Mokhtar Belmokhtar, axe central de cette affaire, reste un mystère, bien que la presse lui prête, avec une facilité déconcertante, des pouvoirs qu'il n'a pas. Ce natif de Ghardaïa, âgé de 32 ans, a été, certes, un émir du GIA pour la région du Sud dont les qualités ont été reconnues par Djamel Zitouni pour en faire un successeur à Miloud Mobbi (égorgé à Chréa au début de l'année 1996). Lorsqu'il consent à intégrer le Gspc en 1998, il a tout juste vingt-six ans. Et lorsque, en 1999, il commence à alimenter les maquis de Hassan Hattab en armes, qu'il acheminait à partir du Niger, du Mali, de la Libye et même du Tchad (plaque-tournante du commerce d'armes), il est considéré comme le grand pour de fonds du Gspc. Curieusement, c'est à partir de cette date que commence son déclin. A partir de 2000, il est coupé des grands vols (vivres, argent et véhicules 4x4) qu'il perpétrait sur les camions de marchandises et les bases vie de Sonatrach, implantées dans le Sud. A partir de l'année 2000, on entend une seule fois parler de lui, dans la périphérie d'In Guezzam. Depuis, c'est le ténor de la contrebande du Sud, c'est «Monsieur Marlboro» et le bourlingueur de la piste des cigarettiers. En un mot, c'est un «islamo-trabendiste» qui prend racines chez les turbulentes tribus targuies du nord du Mali et surtout du Niger. Aujourd'hui, peut-on objectivement lui attribuer un pouvoir aussi grand que celui d'être un agent régional d'Al-Qaîda? Si c'est le cas, cela revient à dire qu'il a complètement éclipsé l'émir national, Hassan Hattab. La question qui se pose, le cas échéant, est de savoir pourquoi l'émissaire de Ben Laden, abattu par les forces de sécurité début février 2003 près de Batna, voulait, alors, rencontrer Hattab pour lui proposer de s'affilier organiquement et militairement à Al-Qaîda? Belmokhtar s'est-il débarrassé des liens de suzeraineté qui le liaient au Gspc? Travaille-t-il aujourd'hui pour son propre compte, pour celui du Gspc ou celui d'Al-Qaîda? Est-il mort dans l'assaut donné contre les preneurs d'otages à Amguid, ou s'est-il faufilé en «pays ami»? Le petit contrebandier du Sud est subitement devenu un grand chef du terrorisme international. Les détours sinueux qu'il a empruntés dans sa trajectoire nous échappent encore, mais il serait très intéressant de revenir sur les circonstances qui ont donné à ce petit voyou de quartier l'image d'un grand caïd.