Aux mots «écrivain public», Si Boudjemaâ ne put s´empêcher de laisser s´échapper un rire joyeux qui décontenança son compagnon. Qu´est-ce qui te fait rire ainsi? Ai-je dit une bêtise? - Non, pas du tout! Ecrivain public, cela me fait penser à une anecdote amusante! Figure-toi que deux cousins d´une bonne famille habitaient dans le même immeuble. Probablement qu´ils devaient avoir du piston dans l´administration pour pouvoir s´être débrouillés deux «biens vacants» dans le même immeuble. Bref, l´un deux était un enseignant qui avait réussi à commettre quelques ouvrages qui ont eu un certain succès auprès d´un public restreint, et l´autre, employé dans une administration, s´essayait à suivre les traces de son cousin. En vain! Cela ne l´empêcha point d´inscrire sur la plaque apposée au-devant de sa porte son nom suivi de la mention «Ecrivain». Chaque fois que son cousin passait devant cette porte, il ne pouvait s´empêcher d´ajouter au feutre la mention: «public»! Cela mettait le bureaucrate dans une rage folle. - Cela prouve que ledit infortuné cousin était de la vieille école. Il avait sûrement une bonne opinion du statut d´écrivain. Cela n´est point le cas maintenant. Aujourd´hui, il serait préférable de mettre «joueur de football»! Cela fait plus distingué et c´est plus rentable. Je n´aurais jamais cru que ceux qui suent sur un stade et s´amusent à pousser une balle du bout du pied et qui, parfois, se laissent aller à cracher, à faire des gestes vulgaires, à proférer des injures ou à distribuer des gnons ou des coups de boule ici et là, puissent constituer des exemples à suivre. Chaque petit enfant du plus misérable des quartiers ne rêve que de devenir un Zidane ou un Maradona. C´est le renversement complet des valeurs. Ce n´est pas étonnant non plus quand on voit nos hommes politiques préférer s´afficher avec un joueur de foot qu´avec un écrivain désargenté. Le foot fait partie désormais de la panoplie des moyens que tout pouvoir politique démagogue emploie pour mobiliser la plèbe. C´est tout simplement que l´on veut maintenir les masses populaires à l´état d´ilotes. Quand je pense qu´un dramaturge de talent vit toujours depuis presque cinquante ans dans le même appartement perché au septième étage, et qu´il a toutes les peines du monde, vu son âge, à rejoindre ses pénates! C´est tout simplement injuste envers quelqu´un qui a fait les belles soirées du théâtre ou de la télévision. Je suis sûr que quand il exhalera son dernier soupir, il y aura toujours quelques crocodiles de service qui se précipiteront devant les caméras de l´Unique pour afficher une mine attristée et prononcer quelques banalités pour exprimer leur fausse compassion. C´est le destin de beaucoup d´artistes honnêtes, hélas! Tu connais la fameuse maxime: de son vivant, il n´a pas eu droit à une datte, à sa mort, on lui accroche tout un régime. Et c´est justement au régime en place à créer les conditions pour que l´artiste comme le sportif puissent trouver chacun une place dans la société, une place digne! Ne va pas croire que je suis contre le sport. Non! Pas du tout! On doit développer le corps autant que l´esprit! Mais, dès que l´argent ou le chauvinisme s´infiltre quelque part, ce n´est plus du jeu. Tu as entendu les sommes faramineuses qu´on propose ici et là aux équipes si elles se qualifient? C´est tout simplement obscène, quand on voit la situation du simple travailleur ou du retraité. Moi, je pense que chaque village devrait avoir son stade, sa bibliothèque et son cinéma ou sa maison de la culture. C´est dans ces endroits que peuvent naître les vocations ou s´épanouir les jeunesses.