La traversée du bourg se fit chaotique comme l´avait annoncé son compagnon: à grands renforts de coups de klaxons et de jurons étouffés. Après un ultime stop et un virage à quatre-vingt-dix degrés, la voiture s´élança à l´assaut de la montée qui marquait la limite entre l´ancienne et la nouvelle ville. Puis ce fut une descente interminable vers une hypothétique plaine. Plus on s´éloignait de Theniet El Had, plus le couvert végétal devenait méditerranéen. Les flancs de la montagne abrupte offraient un large éventail de plantes à bulbe et de graminées tandis qu´en contrebas, le lit de l´oued était recouvert de rangées de lauriers ou de touffes de jonc. Une bataille semblait se livrer entre l´élément minéral qui affleurait ici et là et qui se constituait et le végétal qui faisait une résistance opiniâtre en ce début de printemps. Mais l´issue ne laissait aucune illusion: après la traversée du défilé de Oued El Ghoul baptisé ainsi, non pas à cause du petit pont aux couleurs nationales qui franchissait le ravin, mais parce que l´endroit présentait toutes les caractéristiques d´un véritable coupe-gorge, la pierre se faisait de plus en plus présente et la présence d´une carrière qui balafrait la montagne en était l´affirmation. De temps en temps, une maisonnette située en contrebas, avec deux ou trois animaux qui paissent paisiblement au bord de la route rassurent le voyageur: l´endroit n´est pas aussi désert qu´il ne paraît. D´ailleurs, des sentiers grimpent ici et là vers dimprobables masures tapies dans les plis du relief. La pente s´adoucit brusquement et des collines verdoyantes s´étagèrent à l´horizon avec de larges stries blanches. Quand l´oeil pouvait voir au-delà du talus qui s´effritait dangereusement au-dessus de la route, menaçant la voie étroite, il pouvait apercevoir de larges promontoires rocheux qui étalaient leurs os au ciel comme des lézards au soleil. Par endroits, des cônes de roches blanches nues, donnent au paysage un aspect lunaire. Mais pour l´instant, c´est le vert de l´herbe courte et tendre qui domine. Des pâquerettes tapissent les bords des fossés. Noureddine ralentit un peu la vitesse de son véhicule afin que son compagnon puisse jouir de la contemplation d´un paysage auquel il n´était pas habitué. «Il faut vite profiter de cette courte période du printemps, car ici le printemps est de courte durée. D´ici peu tout ce beau vert qui s´étale ici sera brûlé par un soleil denfer. Ce sont véritablement les Hauts-Plateaux: des cultures céréalières et des moutons qui auront vite fait de tondre une herbe rare. D´ailleurs, le reste du temps, les ovins sont nourris aux grains. E puis de l´eau de plus en plus rare. Tu t´étonneras de la faiblesse de la pression d´eau dans les robinets. Pas de quoi faire marcher un chauffe-bain! La chaleur est torride mais l´air est sec et sain. Pour voyager, il faudra se lever tôt ou posséder une voiture climatisée. Il faut choisir le genre de vie que l´on veut mener: quand j´étais jeune, on m´aurait donné tout l´or du monde pour venir me perdre ici, j´aurais refusé. Je n´aurais pas renoncé à la douceur méditerranéenne des terrasses de cafés ni à la joyeuse promiscuité des rues de la capitale où il se passe toujours quelque chose. Mais avec l´âge, j´ai regretté de n´avoir pas choisi un bled perdu au milieu de cette immensité nue où il ferait bon méditer à la fin d´une journée éreintante. Tu ne peux pas savoir combien attendue, mais vaine, la création de nouvelles villes sur les Hauts-Plateaux! Cela fait plus de trente ans qu´on nous parle de la nouvelle capitale de Boughezoul! Mais ce n´est devenu, au fil du temps qu´un mirage comme tous les mirifiques projets bien dessinés sur le papier. Mais la réalité, c´est autre chose! Crois-tu vraiment que celui qui met 24.000 euros à la disposition de son fils pour que celui-ci puisse se payer du bon temps en Suisse, soit préoccupé par le décongestionnement de la ville d´Alger?»