Un embouteillage est d´abord signalé par l´alignement de quelques voitures arrêtées au milieu de la chaussée. Sa cause, quand elle n´est pas tout de suite visible pour le conducteur en fin de file, peut donner lieu à plusieurs supputations: accident, contrôle intempestif, panne ou travaux. A part le contrôle, les autres circonstances donnent lieu à une série de manoeuvres non orthodoxes de la part des automobilistes qui sont pressés d´aller perdre leur temps ailleurs. Dans le cas présent, ce sont plutôt des travaux routiers menés de part et d´autre du rond-point qui marquent la limite de l´agglomération de Laâyoune qui en sont la cause. Cependant, le désordre provoqué par l´incivisme des conducteurs est visiblement amplifié par le comportement quelque peu fantaisiste d´un vieil homme, apparemment irascible, qui agitait vainement un drapeau rouge pour donner alternativement la priorité aux deux files de véhicules arrêtés de chaque côté du chantier. «Voilà un exemple de ce qui se passe dans notre cher et beau pays!» s´exclama Si Boudjemaâ qui était exaspéré par les coups de klaxon et le comportement irrationnel des uns et le manque d´autorité du vieil homme. «Ce cas peut être multiplié par des mille et des mille. Voilà un vieil homme respectable qui mérite peut-être de couler des jours filés d´or et de soie dans une confortable retraite au milieu de ses petits-enfants et qui est obligé de faire le zouave ici pour avoir un salaire misérable et ne pas mendier. A moins que ce ne soit un de ces pauvres types qui terminent leur vie sans retraite ou avec une retraite symbolique qui ne leur permet pas de faire bouillir la marmite. J´ai pris un jour en stop, un homme assez âgé, qui m´avait raconté en cours de route une bien triste histoire: il avait travaillé pendant deux semaines sur un chantier, pour un entrepreneur qui a levé le camp un beau matin sans laisser d´adresse. Et maintenant, il est obligé de le rechercher pour espérer être payé, si toutefois il arrive à mettre la main dessus. Ce vieil homme m´avait juré, et nous étions en plein Ramadhan, qu´il n´avait rien à manger à la maison. Cela m´avait profondément ému. Dans ce cas présent, je suis sûr que ce sont des considérations humanistes qui ont amené le chef de chantier à employer un homme qui est visiblement au bout du rouleau. Je suis sûr qu´il ne lui reste pas grand-chose comme neurones. Et puis, cela se voit que c´est un sanguin, qu´il se met vite en colère et qu´il doit s´emmêler les pinceaux à propos de rien. Evidemment, il n´est pas exclu que ce brave septuagénaire, qui tient encore sur ses jambes, qui énerve ou qui amuse les automobilistes, ne soit pas un parent au chef de chantier ou un voisin, enfin quelqu´un à qui il peut faire confiance et qui est chargé de lui rapporter tout ce qui se passe pendant son absence. Tous les cas de figure sont envisageables! C´est, hélas, cette confusion qui a fait le malheur de notre pays: l´homme qu´il ne faut pas à la place qui ne lui sied guère! On confond toujours gestion et bienfaisance. Chaque poste de travail a ses propres spécificités! Là où il faut de l´autorité, il faut un homme ou une femme qui en impose, aussi bien par sa stature que par son comportement! Il faut un meneur d´hommes pour conduire un groupe. Là où il y a de l´argent à manipuler ou des marchés à gérer, il faut des hommes honnêtes, dont l´itinéraire est bien connu par les services chargés de faire des enquêtes d´honorabilité sur les personnalités pressenties pour des postes de grandes responsabilités. Avec le tsunami d´inculpations qui vient de s´abattre sur les hauts cadres des grandes entreprises nationales, je me demande si on n´est pas en train de rééditer la purge des années 90, ou bien que c´est tout simplement l´occasion qui fait le larron».