J´étais un jeune écolier quand la guerre faisait rage en Algérie, c´est-à-dire entre Tlemcen et Tébessa et entre Dunkerque et Tamanrasset. J´ai vécu en spectateur terrorisé aux exactions commises par l´armée coloniale, exactions que semblent avoir oubliées ceux qui ne les ont pas connues parce qu´ils vivaient dans une autre dimension. Ayant été envoyé en colonie de vacances en France pendant l´été 58, j´ai pu entendre les commentaires haineux de la propagande française à l´encontre des actions entreprises par le colonel Amirouche, alors chef de la Wilaya III: une wilaya qui était étranglée de toutes parts aussi bien par une des armées de l´Otan que par l´attitude discutable de certains frères de combat. J´ai vécu dans la douleur la guerre des wilayas en apprenant que des fusils qui n´avaient jamais servi contre l´occupant, ont été rodés contre ceux qui n´avaient pas encore commencé à panser leurs blessures. Les années ont passé, l´Algérie a eu un traitement qu´elle est loin d´avoir mérité, avec son lot d´arrestations arbitraires, de tortures, d´assassinats et de détournements de toutes catégories. Le résultat est là: dans de nombreux domaines, le pays peut se targuer d´être à la traîne, derrière des pays voisins plus démunis sur le plan des richesses naturelles. Pis, l´indépendance alimentaire n´est qu´une séquelle du colonialisme (la seule peut-être!) qu´ont pu effacer ceux qui embouchent aujourd´hui les trompettes de la diffamation et de l´insulte à l´encontre de ceux qui ont donné leur vie pour leur permettre de rentrer dans leur pays et obtenir des postes et des privilèges dont ils n´ont jamais peut-être rêvé, même en lisant les Mille et Une Nuits! Les années ont passé, mettant au même niveau le vrai et le faux moudjahid, le patriote et le traître, le combattant et le planqué. Les années ont passé et on commence à subir les conséquences désastreuses aussi bien de l´article 120 que du soutien critique: la monopolisation de la parole a fini par émousser le sens critique de beaucoup de nos concitoyens, en même temps qu´elle a rendu plus agressifs ceux qui ont dû passer sur les cadavres de leurs frères pour arriver au pays de cocagne. Et comme disait Matoub Lounès, une autre victime de cette guerre qui n´a jamais dit son nom mais dont on mesure tous les effets tragiques, tous les jours dans la rubrique des faits divers: «Celui qui a goûté à la chair de la perdrix ne pourra jamais s´en passer». Ceux qui ont été dérangés dans leurs confortables certitudes et dans leur retraite (et rente!) dorée par la sortie du livre de Saïd Sadi, se sentent menacés désormais par des vérités qui couvaient sous les cendres de l´oppression et des persécutions. Tout comme pour le combat pour l´indépendance a été suivi par le combat pour l´identité, la lutte pour l´écriture de l´Histoire de la guerre de Libération sera un jour suivie par une analyse critique et fine des conditions dans lesquelles le patrimoine des millions de chouhada a été géré. Car ce n´est pas en utilisant le même vocabulaire que les émissaires de Massu, qui parcouraient nos campagnes en traitant les valeureux moudjahidine de criminels, de chacals et d´autres noms, que l´on fera oublier au peuple les affaires qui sentent mauvais: BRC, Sonatrach, banques privées, terres et crédits agricoles...J´en passe et des plus nauséabondes...Tout comme le peuple n´oubliera pas que ses meilleurs fils exilés ont été, qui abattu dans la rue comme un chien, qui étranglé dans une chambre d´hôtel comme un malfrat, qui assassiné dans un hall d´immeuble...Et tout cela dans le silence le plus complet de ceux qui se réveillent au nom terrible d´Amirouche! Moi qui croyais que la guerre des wilayas était terminée, je me rends compte qu´elle dure encore.