Si Boudjemaâ en avait discuté à maintes reprises avec ses compagnons d´infortune qui, à des degrés différents, soutenaient son point de vue. Les aigris comme Si Dahmane le pingre, se retranchaient derrière un conservatisme de mauvais aloi tandis que Si Arezki affichait sans retenue toute sa sympathie pour un pouvoir autoritaire: c´était le seul qui pouvait mettre au pas les délinquants potentiels et mettre fin au manque de civisme de la majorité des habitants de la cité. Seuls Ammi Rabah, Si Mohand Ouali, qui avaient longtemps vécu en France, le soutenaient pleinement en mettant l´accent sur l´effort d´éducation qui restait à faire pour améliorer le comportement des citoyens. Si Salem, berbériste militant, était catégorique, lui, quand il déclarait que «le poisson pourrit par la tête». Il utilisait ces proverbes glanés ici et là pour appuyer ses propos. Le sujet qui avait amené le cercle restreint des nostalgiques était celui qui revenait sans cesse sur le tapis: l´hygiène. Il est facile de remarquer que durant l´été, la cité est encore plus sale que durant les autres saisons: le plastique avait envahi le décor avec une outrance particulière. Il y avait toutes sortes d´emballages qui encombraient les chaussées, les trottoirs, les semblants d´espaces verts. Si Salem était intraitable sur le thème: «C´est un choix civilisationnel!», avait-il déclaré sur un ton doctoral. Du moment que les autorités ont pris des initiatives contraires à l´esprit méditerranéen qui avait cours ici: la suppression des terrasses de café où tout un chacun pouvait à loisir rester pour deviser ou pour sentir le temps passer, a obligé les gens à adapter leurs comportements. Il faut ajouter à cela que beaucoup de cafés ne sont guère hospitaliers à présent: si vous y rentrez, c´est pour avaler juste une boisson et déguerpir. Votre argent est le bienvenu, pas vous. Il faut remonter à l´époque où des escouades de police faisaient des descentes dans les cafés: d´abord, c´était pour interpeller les gens qui rompaient le jeûne, puis pour vérifier si tous les gens attablés ne seraient pas mieux derrière leurs bureaux. C´était l´époque où le salaire était garanti pour chacun. La rentabilité n´était pas prise en compte, mais le bouquet c´était la fermeture des bistrots. Alors, maintenant, les gens s´approvisionnaient directement chez les épiciers qui sont équipés en réfrigérateurs: boissons de toutes sortes dans les emballages plastiques, cafés servis dans des pots «jetables» que l´on retrouve partout. Je n´ai jamais vu ni entendu de par le monde, parler de gens qui se baladent dans la rue avec une boisson à la main. Il y a même des gens qui sirotent leur petit thé ou leur petit café au volant. C´est devenu une mode. D´ailleurs, c´est une mode lancée par les drogués qui traînent toute la journée dehors, dégustant leur joint avec quelque chose qui ressemble à du café. Et avec l´été, c´est l´effet boule de neige: les bouteilles d´eau minérale jonchent tous les espaces et les pouvoirs chargés de lutter contre ce fléau sont impuissants. Je rigole en pensant aux prétentions de bannir le sachet noir: quelque chose de plus grave l´a relégué à l´arrière-plan.»