Même sous la torture, certains témoins mentent. Devant Ghezloune, ils finissent par... En ce rude été 2010, Fella Ghezloune, la juge de la correctionnelle du tribunal d´El Harrach (cour d´Alger), aura passé quatorze bonnes minutes avec Mourad.S., un témoin de coups et blessures volontaires à l´aide d´une chaise ayant occasionné un arrêt de travail de trente jours. Le détenu est le propre tonton paternel de la victime. D´ailleurs, à l´appel de leurs noms l´inculpé Mohammed, la victime Ali et les quatre témoins s´étaient avancés à la barre pour des...formalités. Erreur! Excuse ou pas, pardon mutuel ou pas, embrassades ou pas, poignées et sourires de circonstance ou pas, arbitrage ou pas, médiation et autres démarches ou pas, Fethia Benghanem était là, assise, représentant l´oeil poursuivant du ministère public, attendu le moment voulu par la juge pour réclamer une peine de prison ferme. Si l´inculpé et la victime se sont rendu les compliments devant le tribunal, deux témoins sur les quatre, étant sous serment, avaient frôlé les foudres des poursuites engendrées par de faux et de vrais-faux- témoignages allant pour eux dans le sens de l´apaisement et pour le tribunal de fausses déclarations de faux témoignages, donc bons à embarquer sur-le-champ. Et ce sera le second «menteur» surtout, qui aura poussé Ghezloune, toujours aussi flegmatique et gracieuse, avec en sus, la bonne nouvelle de la naissance d´un garçon au foyer de sa chère amie et collègue Selma Bedri, venu égayer la famille de Bedri et son époux et l´autre famille: le tribunal d´El Harrach, en entier, a balancé cinq «cartons jaunes» à l´auteur du faux témoignage. «Ecoutez, la version que vous venez de déverser à la barre n´a rien à voir avec celles faites devant la police judiciaire et le parquet. Où est la vérité?», tonne-t-elle avant d´enfoncer le clou lorsque le témoin avait subitement évoqué l´arme blanche, c´est-à-dire la chaise dont les coups forts avaient déboîté l´épaule droite du neveu. «Vous venez de prononcer le mot chaise. Qui vous l´a soufflé puisque vous venez d´affirmer qu´à votre arrivée, la victime était allongée sur le sol, gémissante?», crache Ghezloune qui sera encore plus sévère lorsqu´elle relit un passage de ses déclarations faites devant les policiers. «Au moment où je suis arrivé, j´ai vu l´oncle balancer une chaise sur l´épaule du neveu. Je me suis alors interposé.» La magistrate lève ses yeux noirs de naissance et de déception et s´écrie: «Alors où sont les vrais passages? Celui d´aujourd´hui ou ceux d´avant-hier. Que s´est-il passé avant de changer de fusil d´épaule et de...veste?» Le témoin baisse son regard du haut de ses cent quatre-vingts centimètres et lance dans un silence éloquent. «Non, madame, rien...» «Si, si, si», reprend dans la foulée Fethia Benghanem, la jeune procureure qui fait comprendre au tribunal que les témoins ont été «touchés» la veille du procès. «N´ayez crainte. Z´avez été menacés? On vous a cuisiné avant d´entrer dans la salle?» articule la présidente qui aura une bonne et surtout vraie réponse! «Oui, un des membres de la famille de l´inculpé, mais en liberté provisoire, m´avait informé que tout allait désormais bien et qu´il fallait que je rectifie mon témoignage car le tribunal ne prend en compte que ce qui se déroule à l´audience.» Ah bon? Parce qu´un cours de procédures vous avait été fourni, on vous a bien préparé. Alors, le mensonge sort de votre bouche, quitte à perdre votre liberté et votre honneur alors que vous n´y êtes pour rien dans ce dossier. Qu´avez-vous perdu le jour où on vous avait entendu au commissariat et au parquet? Est-ce que vous aviez témoigné sous la contrainte? Quelqu´un vous a menacé? Dites, pour une fois la vérité, rumine Ghezloune, décidée à voir les deux témoins se mettre à table en vue d´en finir avec ce dossier qui ne fait que perdre du temps aux gens et au tribunal. Les deux témoins venaient enfin de se rendre compte qu´en matière de justice, toute déclaration crachée est automatiquement transcrite et le procès-verbal dûment signé par ceux qui la font et ceux qui écoutent. Alors, ce n´est pas à une jeune «renarde» de l´envergure de Fella que l´on s´amuse à...jouer. Nous assistons au baisser de rideau sur les remontrances. Le procès reprend de plus belle:on s´exprime mieux. On dit tout. Et on dit vrai. La juge est plus sereine. Elle est heureuse comme une fraîche bachelière qui a obtenu un vingt sur vingt! Les débats iront jusqu´au bout. Fethia Benghanem, la juge procureure qui avait sans doute apprécié les «dia» et les «hue» de l´aînée de juge, a dû se délecter au moment où les deux auteurs de fausses déclarations s´étaient mis à table au bon moment, car Ghezloune ne bluffait pas lorsqu´elle avait lancé ses «ultimatums» concernant les poursuites foudroyantes de faux témoignages et autres déclarations mensongères. La raison eut le dessus. Les débats reprirent dans la sérénité. La parquetière avait l´oeil qui brillait. Elle a senti toute la sévérité, la rigueur et la netteté de Ghezloune qui fait la fierté de la cour d´Alger où toutes les gazelles galopent au gré des vents d´Afrique en été 2010.