La jeune écrivain n'a pas choisi la facilité en situant son premier roman dans l'univers d'une enfance traumatisée par les années de terreur traversées par le pays. Longtemps figé dans un conservatisme sans perspective et cantonné dans des sujets convenus, sinon de bon aloi, le roman arabophone s'ouvre à la modernité de la thématique et aux idées novatrices, singulièrement dans la construction de l'écriture, comme en témoigne le roman, le premier en fait, signé Saïda Haouara. Professeur à l'université d'Alger, Saïda Haouara en se mettant à l'écriture n'a pas choisi la facilité tant par le thème abordé, l'Algérie des années de terreur, que par une écriture travaillée presque dépouillée s'alliant avec bonheur à l'environnement ambiant. L'aventure de l'écrit, ce n'est pas, en vérité, une chose toujours évidente. Mais l'expérience est en fait exaltante, sinon enrichissante, singulièrement, quand cet écrit se fait dans la langue nationale ou l'écriture expérimentale demeure peu exploitée. Le roman innove par maints traits comme celui du discours, non point, comme on pourrait s'y attendre, un propos à connotation «académique», mais un texte à clé qui soutient l'argumentaire du récit. D'où l'intérêt qui est celui de cette première oeuvre romanesque. Le roman «Eschems fi ‘alba» (le Soleil dans la boite) se veut résolument novateur, abordant un thème très sérieux, voire dramatique, avec comme fond l'Algérie des années 90, marquée par les horreurs du terrorisme et ses retombées néfastes, singulièrement pour une jeunesse désorientée, trop tôt confrontée aux difficultés de la vie. «Eschems fi ‘alba» c'est la tragédie de l'Algérie vécue à travers les yeux des enfants, racontée par les enfants. Saïda Haouara use ici de métaphores pour dire ce vécu bouleversé d'enfants trop tôt mûris au contact d'événements dépassant souvent leur compréhension, où la cérémonie du cimetière devient, par la force des choses, par son rite répétitif, le symbole qui lie entre eux tous ces orphelins dont un père, une mère, un frère ou une soeur sont tombés sous la hache ou le poignard des assassins. De fait, l'histoire d'Amine, de Billel, et de ces petits enfants, ou adolescents, acteurs malgré eux, de la tragédie qu'a vécue l'Algérie, commence dans un cimetière à l'enterrement qui d'un père, qui d'une mère ou de parents, tués par l'intolérance. Les principaux personnages de ce drame sont donc ces enfants, ces orphelins devenus, du jour au lendemain, adultes confrontés à la dureté de la vie, mis au-devant de choses qui les dépassent, des enfants victimes d'un dogmatisme dévastateur. C'est ainsi que le petit Billel qui a perdu ses parents s'en ira pour une sorte de quête initiatique. Pourquoi Billel veut-il mettre le soleil dans la boîte? De fait c'est une manière expressive de dire le vide qui habite ces orphelins privés de l'amour et de la chaleur de parents, une jeunesse trop tôt agressée par une violence qu'elle ne comprend pas. Le roman de Saïda Haouara est un récit gigogne où un mystère annonce le suivant, où chaque mot cache la thèse et l'antithèse. Rapide et incisif mais d'une lecture parfois ardue, «Eschems fi ‘alba» n'en présente pas moins une écriture novatrice où la langue d'Al Djahid retrouve des couleurs innées alliant la poésie à la féerie du conte, n'eut été le fond triste, voire sinistre, qui en est le décor. En fait, l'histoire de ces enfants est rien moins que féerique alors que le drame et la tragédie, embusqués à chaque coin de rue, dans chaque maison, leur ont fait sauter sans retour leurs années d'enfance et d'insouciance. C'est chez lui, dans la maison de ses parents, que Billel voit les terroristes décimer sa famille. De sa cachette, Billel entend son père dire aux terroristes de le tuer mais d'épargner sa femme et ses enfants. Et Billel ravalant ses larmes de dire racontant son drame: «J'avais très peur mais je n'ai pas pleuré», car couché parmi les victimes des terroristes, retenant son souffle, il faisait le mort...Nesrine, Amine, Mehdi, Kahina, Hayat, et tous ces enfant mûris avant l'heure, racontaient avec leurs mots l'expérience traumatisante qu'ils ont vécue, expérience qui, quelque part, a annihilé en eux cette innocence qui est le propre de l'enfance. C'est tout cela qui est ressenti à la lecture de ce curieux petit roman qu'est le Soleil dans la boîte . Ces enfants, - au regard voilé, perdu dans les horreurs auxquels ils ont assisté-, unanimes posaient de concert une seule question : pourquoi a-t-on tué leurs parents, leurs frères, leurs soeurs, leurs amis et voisins? Des questions auxquelles les adultes eux-mêmes n'avaient pas de réponses, ou s'estiment incapables d'apporter des réponses satisfaisantes. Sans doute que ces adultes, eux-mêmes, ne comprenaient pas trop le pourquoi des tueries qui ont déferlé sur le pays. La plaie est béante et difficile à cicatriser comme il sera difficile de faire oublier à ces enfants le cauchemar qu'ils ont vécu. Saïda Haouara s'essaye à dire par des mots simples ces moments de douleur du vécu algérien où le monde s'est brusquement effondré sur les certitudes jusqu'alors partagées, où les valeurs qui cimentaient la nation sont remises en cause. Eschems fi ‘alba, n'est pas un roman d'action ni un roman psychologique, c'est en fait le récit d'une tragédie qui fait du cimetière le lien le «mieux-disant» entre les Algériens devenant, par un monstrueux bouleversement des valeurs, le lieu le plus «branché». De fait, durant cette période noire et troublée de l'Algérie, le cimetière a tenu un rôle central, comme le montre de façon saisissante le roman qui s'ouvre et se ferme sur ce lieu consacré au repos éternel des âmes. Le mérité d'Eschems fi ‘alba est de nous faire toucher les fonds noirs que l'intolérance a fait atteindre au pays.