Il est 18h. 24 heures à peine après le cataclysme. Le désarroi des citoyens creusant à mains nues le béton mêlé aux cadavres s'est effacé devant les scènes horribles rencontrées à chaque bloc enlevé. Au fil des heures, l'odeur de la mort gagne du terrain. Véhicules écrasés, bâtiments réduits en miettes et terrains jonchés de ferraille et de béton. Le quartier d'Ibn Khaldoun, fragment d'une ville secouée. Des familles entières sont encore sous les décombres. Le regard des jeunes sauveteurs laisse entrevoir l'espoir de trouver des personnes vivantes. Les immeubles de la cité ne sont plus ceux qu'ils étaient. Aucune règle physique, sauf celle de la gravité, n'explique pourquoi chacun s'est écroulé de manière différente. Pourtant, c'est la même terre qui a tremblé «Certains doivent rendre des comptes... après (...) Ici, il y a au moins 15 familles sous les décombres, on célébrait un mariage au moment du drame», déclare un père de famille, pétrifié par la scène. Tout autour, des jeunes rescapés, des militaires, des agents de la Protection civile, tournent le dos à des centaines d'autres familles et d'enfants «réfugiés» dans un espace vide. Sans eau ni alimentation, tous attendaient les premières aides des élus locaux qui ne donnent pas signe de vie. Les enfants ont cessé de jouer. Ils ont faim. Ils pleurent. Ils attendent...Dans un immense champ de ruines, les gens vont et viennent, se croisent, sans se voir. Ils donnent, toutefois, le sentiment qu'ils refusent de se livrer à l'abattement. C'est le même rythme depuis 24 heures. Une course contre la montre où il n'y a pas d'adversaire, si ce n'est la mort. L'autre est certainement de trop. L'attente des moyens de sauvetage et le lait, qu'on leur a promis hier tardent à venir. «Où sont passés les engins qui préparaient, la veille du séisme, les rues de la ville pour recevoir la visite du chef de l'Etat?», crie B.M. Ce dernier vient de reconnaître dans une impuissance quasi totale, la tête de son frère écrasé par une dalle de plusieurs tonnes. B. M. avait du mal à retenir ses larmes devant son neveu qui, les mains complètement abîmées par les décombres d'où il s'acharnait à extraire son père. «Il est mort? C'est fini», demande l'oncle comme s'il voulait sonder le courage de son neveu. C'est fini, répond ce dernier. Si tout le drame s'arrêtait uniquement à la mort de B.S. patron d'un bureau d'études. Mais toute la zone jonchée de débris, de bout de ferraille, de voitures déchiquetées comptait des centaines de cas similaires. Tous ceux qui étaient sur les lieux, partageaient la même vision. Les pompiers, visiblement épuisés par le manque de moyens de sauvetage adéquats, ne trouvent plus les mots pour expliquer aux citoyens, qu'ils creusent aussi avec leurs mains pour tenter de sauver des vies. «Il faut attendre, les moyens lourds, personne ne peut soulever ces décom-bres», dit un officier de la Protection civile. «Nous aussi nous attendons». Vite interrompu par une voix: «Venez, elles sont encore vivantes, ramenez de l'eau.» Criait un groupe de jeunes, à l'adresse des appelés dépêchés sur les lieux. En une fraction de seconde, c'est quasiment la moitié du quartier qui se déplace vers les ruines. Il s'agit de deux et de deux fillettes. L'absence de pelles mécaniques pour soulever les énormes blocs de béton d'un immeuble de 5 étages, superposé tel un mille-feuilles, ne nous ont pas permis de les sauver. Des dizaines d'autres appelés sont là, impuissants, à regarder depuis leurs camions sans pouvoir faire grand-chose...Ils attendent les moyens comme tout le monde. Réfugiés à bord du seul bien qui leur restait, un père et son fils, ont juré que si «les engins techniques existant dans la wilaya, étaient arrivés, même à 10h, beaucoup de vies auraient été épargnées». «Depuis hier, les jeunes, qui ont organisé les premières opérations de sauvetage ont pu sauver des dizaines de personnes», rétorque un père pour calmer son adolescent encore sous le choc...Mortes où vives, les victimes sont expédiées vers les hôpitaux de Boumerdès et de Rouiba. Les médecins ne savent plus que faire! Des dizaines de blessés anonymes qui attendent leur famille, qui ne sont toujours pas venues les chercher.