Bordj Ménaïel, lundi 26 mai, 10h45. Six jours après la catastrophe du mercredi noir, la population semble avoir perdu espoir de retrouver des survivants sous les décombres, même si on signale encore des disparus dans cette ville en ruines. Hier, les pioches et les pelles ont laissé place aux gros engins pour déblayer le terrain et ouvrir les rues et quartiers obstrués par les décombres. Devant les zones sinistrées, barricadées par les éléments de la Protection civile et de l'armée, deux corps présents en force, les citoyens suivent de près le mouvement des engins de travaux publics qui s'emploient à enlever le béton et les dalles qui se sont amoncelés après l'effondrement des bâtisses et des bâtiments. Sur les lieux, les habitants cachent mal leur colère contre les responsables de l'Etat à tous les niveaux. Ils ne peuvent comprendre l'absence des autorités et le manque d'assistance à une population en détresse. Dans cette ville distante de quelque 70 km de la capitale, tout le monde est mis dans le même sac : le maire, le commissaire, le wali, les ministres et le président de la République. La population est livrée à elle-même. Le ministre de l'Intérieur s'était déplacé, vendredi dernier, mais avait été hué et conspué par les citoyens, outrés par les propos de Zerhouni et par le retard des secours dans cette localité ébranlée. A Bordj Ménaïel, un nom revient sur toutes les lèvres : Mohand Chérif Hannachi, le président de la JSK. “C'est Hannachi qui nous a aidés le plus, Allah ikettar khirou”, nous a déclaré un habitant, encore sous le choc de la catastrophe. L'homme est très connu dans cette ville où son équipe a été forcée de jouer plus de la moitié des journées du championnat de première division. Le président du prestigieux club du Djurdjura a envoyé, au lendemain du drame, plusieurs engins des travaux publics. D'autres entrepreneurs ont ensuite envoyé leur matériel pour apporter assistance à une population qui n'a que la force des bras et la vaillance du cœur pour faire face à la tragédie. Les secours tardent à arriver. “Ce n'est qu'à partir de dimanche que nous avons commencé à recevoir de l'aide en quantités importantes mais toujours pas suffisantes”, regrette un citoyen. Ce dernier tient à souligner l'important élan de solidarité des populations de plusieurs wilayas du pays. Dans la cité Bousbaâ, située à l'extrémité est de la ville, des tentes de fortune sont dressées non loin des immeubles totalement en ruines. Les habitants, qui ont vécu l'enfer du mercredi soir, ont dû faire preuve de “débrouillardise” en fabriquant des tentes de fortune à l'aide de bâches et de couvertures. Cette cité, construite au début des années 1970 et inaugurée en 1974, a enregistré beaucoup de victimes, décédées ou blessées, et un nombre important d'immeubles effondrés. Les rares bâtiments qui ont résisté sont inhabitables parce que complètement fissurés. Certaines familles sinistrées sont relogées momentanément dans les écoles qui restent encore solides. Devant les tentes, un minibus des scouts s'est arrêté pour décharger les aides apportées aux habitants. “Nous avons reçu de l'aide des populations de plusieurs wilayas que nous remercions pour leur esprit de solidarité.” Les besoins de cette cité restent importants et les aides doivent encore venir en quantités conséquentes. Les sinistrés attendent toujours l'arrivée de médicaments, de produits alimentaires, de couvertures, de matelas et de tentes. Leur état nécessite soutien psychologique et réconfort moral. Le président de l'Union des médecins algériens (UMA), Djamel Ould Abbès, ex-ministre de la Solidarité, a eu à constater de visu l'ampleur de la catastrophe. Hier, il était venu ramener des médicaments et du lait pour les enfants, un don de l'organisation qu'il dirige. “Je suis venu aussi écouter les gens parce qu'ils ont besoin d'être écoutés et il faut leur prêter oreille”, insiste l'ancien ministre qui a visité plusieurs localités sinistrées depuis mercredi dernier. On apprend que le maire de la municipalité, qui s'était déplacé, depuis le jour du séisme, dans certains quartiers touchés, a été maintes fois prié de quitter les lieux plus ou moins bruyamment. Des sinistrés expliquent : “Il n'a rien fait pour nous, même si nous savons qu'il n'a pas de moyens.” Sur le mur de la cité des Chouhada, drôle de coïncidence, située à quelques mètres de la cité meurtrie, Bousbaâ, cet éloquent graffiti écrit en arabe et en lettres rouges bien visibles : “Amara haggar.” Amara est le nom du maire de la ville. A Bordj Ménaïel, c'est ainsi que les jeunes préfèrent s'exprimer. Pas loin de la mosquée, sérieusement endommagée, est installé un des sites devant accueillir les aides venant d'Alger, de Tizi Ouzou, de Béjaïa, de Aïn Témouchent et d'autres régions et localités. Les citoyens rencontrés sur les lieux craignent la généralisation du phénomène du pillage. “L'insécurité commence à nous faire peur. Nous avons demandé l'intervention de la police, mais on ne voit rien sur le terrain. Nous craignons que les pilleurs barrent la route aux convois et squattent les aides destinées aux sinistrés”, s'inquiète un jeune, visiblement irrité par la situation. En attendant des jours “meilleurs”, les habitants de cette ville à reconstruire pansent leurs blessures et prennent les choses en main, refusant d'abdiquer face au drame qui les frappe. Abandonnée des années durant, Bordj Ménaïel mérite une bien meilleure considération et une véritable prise en charge. M. A. O.