Il y a neuf ans tombait sous les balles assassines, le chanteur le plus adulé de son temps. Aujourd'hui des milliers de fans, d'amis et de militants de la cause qu'il n'a cessé de défendre, lui rendront hommage. Comme chaque année, le mouvement associatif se met à l'avant-garde pour marquer, d'une pierre indélébile, chaque anniversaire. A Béjaïa, trois associations culturelles se sont regroupées pour marquer l'événement à travers un hommage initié depuis le vendredi, à la Maison de la culture d'Akfadou. L'association socioculturelle Taddart-Iw et taddukli n' Mazgoug, de la commune de Tibane, l'association Aourir Ath-hsyen d'Akfadou ont uni leurs efforts autour d'un programme commémoratif qui s'est traduit et se traduira sur le terrain par une gigantesque exposition photos et coupures de presse retraçant, dans le moindre détail, le parcours de l'artiste avec ses hauts et ses bas. Livre, infographies, sculptures, peintures, billets et monnaies anciennes ont orné, quatre jours durant, le hall du centre, au grand bonheur des villageois des deux communes qui découvrent à l'occasion des activités qui les éloignent un tant soit peu de l'oisiveté qui mine les communes rurales. C'est, justement, dans ces communes que les jeunes se sont mobilisés pour lutter contre l'oubli à travers une série de conférences-débats, des témoignages et projection de vidéos cassettes axées sur l'inoubliable Matoub, pendant que sa voix perçait le silence des montagnes. Tandis qu'à Tizi Ouzou, la fondation Matoub et deux associations, Issegh de Souama et Amzgun N'Djerdjer, organisent des journées de commémoration de la mort du chantre de la chanson kabyle. Des expositions, des conférences et la projection du long métrage réalisé par mokrane Hemar, constituent l'hommage mérité à ce chantre de l'amazighité. Quatre jours durant, les chansons de Lounès sont revenues, tout comme lui, pour rappeler à tout un chacun que l'engagement doit être au quotidien. «Ihadadhen bwal» (les poètes), une chanson qu'a bien appréciée un sexagénaire en la qualifiant d'actualité, eu égard à sa thématique relative à la chanson kabyle de nos jours. Matoub est revenu cette semaine. Poète, musicien, combattant pour les droits de l'homme et la démocratie, symbole de l'amazighité, Matoub Lounès tombait au tournant d'un virage de Tala Bounane, un certain 25 juin 1998, sous les balles assassines de ceux-là mêmes qu'il nommait «les chasseurs du savoir» (issaggaden n tmusni) dans ses poèmes, en hommage à Tahar Djaout, autre victime du terrorisme. Natif de Taourirt Moussa sur les hauteurs de Beni Douala, Lounès Matoub est venu au monde le 24 juin 1956. Dès son plus jeune âge, Lounès découvrira son goût pour la musique et la poésie avant d'entrer de plain-pied dans le domaine de la chanson à l'âge de 24 ans. Il signera sa première cassette, qui le mit au-devant de la scène artistique en 1978. La véritable percée, il l'opérera deux ans après, au cours des événements du Printemps berbère en 1980. C'est d'ailleurs, à partir de cette année qu'il optera de manière distincte pour la chanson engagée. En vingt ans de carrière, il aura, à son actif, plus de deux cents oeuvres, toutes aussi belles et riches les unes que les autres. Son engagement pour l'identité amazighe, les droits de l'homme et la démocratie lui aura valu bien des péripéties. En 1988, il fut blessé de plusieurs balles à Aïn El-Hammam. En 1994, il fut enlevé par un groupe armé au lieu-dit Takhoukht, pour être relâché quinze jours plus tard. Il quitta le pays pour l'autre rive de la Méditerranée grâce au concours de quelques amis. Mais son attachement pour la patrie a fait qu'il ne tarda pas à revenir à la Kabylie natale et à poursuivre son combat de militant infatigable. Ceux-là mêmes qui l'avaient relâché, suite à la pression de tout un peuple, ont décidé un certain 25 juin de frapper fort. Lounès n'échappera pas au guet-apens que les «chasseurs des étoiles» lui avaient tendu, sur le tronçon routier. Il ne sortira pas indemne, il partira à jamais. La nouvelle de son assassinat s'était propagée dans l'après-midi de ce 25 juin telle une traînée de poudre, suscitant aux quatre coins de la Kabylie colère et indignation. Des milliers de jeunes, visiblement très peinés par cet acte abominable, étaient spontanément descendus dans les rues pour déverser leur colère sur les édifices publics, donnant lieu à de longues journées de troubles. Quelques jours seulement avant son assassinat, Matoub venait d'éditer son dernier album dans lequel il retraçait toute l'histoire post-indépendance de l'Algérie. Sa position radicale face au système et à l'intégrisme islamiste lui a toujours valu une sympathie populaire, mais aussi, une hostilité des cercles qu'il dérangeait. Son enterrement eut lieu dans son village natal, en présence d'un déferlement humain jamais vu. Le 9 d'octobre 1998, coïncidant avec le 10e anniversaire de sa blessure par balles (1988) et le 100e jour de son assassinat, la construction de sa tombe se fit dans une atmosphère indescriptible, d'émotion, de ferveur et surtout d'engagement à poursuivre le combat pour la reconnaissance pleine et entière de la langue et l'identité amazighes. Même mort, Lounès Matoub continue, aujourd'hui encore, à prendre sa revanche et à défier tous les ennemis de son combat. Tel le phénix de la légende, Matoub renaît de ses cendres.