Nul doute que la scène politique ira en s'emballant jusqu'à atteindre un rythme vertigineux à mesure que se rapprochera la présidentielle d'avril 2004. Les yeux des Algériens, tous les Algériens, sans distinction de couleurs politiques, sont braqués vers un événement majeur, le plus important qu'ait vécu l'Algérie depuis des années, celui de la libération imminente, probablement aujourd'hui, ou au plus tard avant la fin de cette semaine, des deux chouyoukh de l'ex-FIS, Abassi Madani et Ali Benhadj. Aux yeux d'éminentes personnalités telles que Mes Ali-Yahia Abdennour et Farouk Ksentini, la libération totale de ces deux détenus ne souffre aucune équivoque. La sentence, prononcée pour une douzaine d'années de réclusion criminelle, expire aujourd'hui. Elle a été rendue au nom du peuple algérien - ce même peuple qui, sans doute, retient son souffle - et qu'il faudra «respecter» en honorant les lois fondat notre République et éviter, ainsi, «dépassements» et «cas d'intolérance» commis par ces deux anciens leaders du parti dissous. Ce n'est, au reste, pas pour rien, si Ali-Yahia et Ksentini parlent de crédibilité aussi bien vis-à-vis du peuple que des innombrables partenaires internationaux dans les entretiens accordés à notre journal. Sur le plan juridique, il est vrai que Benhadj n'aura plus de compte à rendre à personne et qu'il jouira pleinement de l'ensemble de ses droits civiques et politiques. Mais cela n'empêche pas le pouvoir de craindre pour sa vie tout en le craignant dans le même temps. C'est un véritable casse-tête que cette libération pose aux différentes autorités du pays. Une protection peut lui être proposée afin que ne se réédite pas le triste scénario de Abdelkader Hachani. Mais, Benhadj, craignant que l'on en profite pour le surveiller de trop près, peut tout simplement refuser cette offre. Sur un autre plan, il se trouve que cette libération, somme toute inéluctable, intervient dans une phase critique, caractérisée par un regain de ferveur islamiste depuis le séisme du 21 mai dernier et la ruée en force des hommes vers les mosquées et des vers le port du hidjab. Les islamistes, prompts à s'organiser et à agir vite et bien, avaient déjà fait florès en 89 lors du séisme de Tipaza. Le même exploit, il faut le craindre, peut être réédité avec le terrible drame de Boumerdès et d'Alger. Car, quoique l'on puisse penser, c'est loin d'être réglé avec près de 200.000 familles sinistrées, vivant un calvaire quotidien et bien souvent intenable. Cela constitue un terreau inespéré pour cette mouvance qui a toujours su profiter, comme elle l'avait fait par le biais du phénomène social qu'était le FIS, de la détresse et de l'exclusion populaire dans le but inavoué de les infiltrer. Les obsèques du défunt Mahfoud Nahnah ont, du reste, été un avant-goût de ce qui attend peut-être l'Algérie dans les prochaines semaines si d'aventure, Benhadj et Abassi devaient être libres de leurs mouvements et de leurs propos, ce qui semble bel et bien être le cas. Quand bien même le climat lui serait relativement favorable à sa sortie de prison, Benhadj ne devrait quand même pas perdre de vue que plus de 150.000 morts le séparent désormais du peuple algérien. Lors de son emprisonnement, ce compteur macabre n'avait pas commencé à tourner. Nul doute, hélas, que ce compteur continue de tourner des mois, voire des années, après sa sortie de prison. Nul doute que les Algériens, qui ont vécu le fameux «laboratoire islamiste» si cher au coeur du défunt Hassan II, n'auront plus de cesse de crier leur ras-le-bol et leur rejet de toute forme de violence ou d'intolérance. Les choses, désormais, sont allées trop loin, pour qu'aucune marche arrière de l'histoire soit encore possible. Nul doute que le fantastique vivier électoral constitué jadis de 3 millions de voix pour l'ex-FIS a fini par fondre comme neige au soleil. L'actuelle ferveur religieuse et le retour de plus en plus ostensible vers l'islamisme ostensible n'y changeront pas grand-chose. Les jeux sont définitivement faits. La République est désormais hors de danger, comme le reconnaisse l'ensemble des acteurs politiques. Il reste toutefois ces irréductibles qui voient toujours, en dépit de tout bon sens, un prophète en Ali Benhadj. Les quelque 600 éléments de l'AIS, avec Benaïcha et Mezrag à leur tête, ainsi que leurs innombrables et insoupçonnés soutiens logistiques, constituent une véritable «armée» prête à passer à l'action...politique. Or, le moment serait-il mieux choisi que maintenant, avec la libération de Ali Benhadj et la montée en flèche des grandes manoeuvres liées à la présidentielle d'avril 2004, c'est-à-dire dans à peine une dizaine de mois? Sans doute pas. Le dossier du FIS, pour paraphraser une expression tout aussi célèbre que juste, est clos et définitivement clos. La poignée d'irréductibles nostalgiques de ce mouvement voudrait peut-être se remettre à flot en lançant une nouvelle formation politique, aidée en cela par cette «conjoncture interne favorable» créée par le retour de la fièvre islamiste et la libération des deux leaders de l'ex-FIS. Plus important que tout, Benhadj ne devrait jamais perdre de vue le fait que l'affaire Gousmi, jamais totalement «endormie» et que le camp des éradicateurs ne cesse de brandir depuis peu, pèse toujours sur sa tête telle une épée de Damoclès. L'erreur, d'un côté comme de l'autre, n'est plus permise. Trop de sang a coulé. Trop de larmes aussi.