Le cinéma est multiple tant par les films que par les façons de filmer et de penser, une raison pour en savoir plus sur cet art des lumières. Où va le cinéma? Vaste question qui peut paraître pompeuse ou bien prétentieuse et pourtant, l´association Project´heurs, l´organisatrice des Rencontres cinématographiques de Béjaïa, qui a l´habitude d´aborder les questions fondamentales qui rongent le cinéma, a eu raison de la poser. Pour y répondre, deux figures cinématographiques du 7e art arabe. D´abord Ghassan Salhab, réalisateur libanais né à Dakr, dont un cycle lui a été consacré et le Tunisien Jilani Saadi auteur du documentaire Bochra, un portrait sur une militante courageuse et engagée pour les droits de l´homme en l´occurrence de la femme tunisienne. Riche débat qui abordera entre autres, les nouvelles formes et le dynamisme dans le cinéma. Un débat qui nous a permis de connaître un peu mieux ces deux cinéastes, dont l´un se dit catalogué cinéaste radical et l´autre qui se félicite de l´utilisation de la vidéo, tout en se refusant d´être nostalgique et de se s´arrêter de tourner. Evoquant les nouvelles technologies, ces dernières, affirme Djilani Saâdi, «nous libèrent en même temps qu´elles nous obligent à faire des films. On est devenus indéfiniment nombreux. Le rapport à l´image s´est démocratisé. En tant que cinéaste, j´ai pris conscience de l´importance de ces outils sur les gens (caméra DV/portable). C´est bien qu´on soit nombreux mais pas semblables. Il s´agit de rendre le cinéma populaire. J´ai tendance à rendre le cinéma le plus léger possible. On se débarrasse de ce poids qu´est l´industrie, cela me convient très bien. Je comprends tout à fait qu´on n´accepte pas ça.» Pour sa part, Ghassan Salhab, qui se dit ne pas faire un film à coups de milliards, fait appel au hors-champ qui est aussi son style et est une manière de pallier la multiplication des plans. «Je bataille en France pour que la production ne m´impose pas sa façon de voir les choses ou la langue parlée du film. Après, c´est à moi de voir si je veux jouer avec le marché ou que le marché se joue de moi.» Pour répondre à une question sur l´importance des images filmées dans la rue et leur impact sur la révolution, Djilani Saadi, sceptique, souligne: «Sans ces images y aurait-il eu cette révolution? Je ne saurai y répondre. Je ne peux en parler qu´émotionnellement.» Quel est le rôle du cinéaste dans l´évolution du monde? Pour l´auteur de Beyrouth fantôme, «il est clair que le cinéma ne peut changer le monde tout comme la caméra ne peut remplacer le révolver, mais il peut dire le monde dans sa complexité.» Evoquant l´aspect de la subversion et sa possibilité de perdurer dans le cinéma d´aujourd´hui, il a quasiment épuisé tous les sujets. Pour Djilani Saâdi: «Dans le cinéma, il y a toujours de la transgression. Si on ne fait pas de transgression, on n´est pas un auteur.» Pour le réalisateur de Terra incognita, il s´agit, quand on parle de censure, de «comment filmer la chose sans se censurer justement, autrement comment se confronter avec l´outil cinématographique? Eh bien, je veux faire ce que je peux». Pour Djilani, il y a deux sortes de censures, celle de l´Etat qui est fondamentalement bénéfique, car elle pousse à créer et celle de nos sociétés arabes qui posent problème sachant qu´«il faut trouver les moyens de s´exprimer tout en restant soi-même dans nos sociétés car faire du cinéma n´est pas fait pour s´exclure». Enfin, touchant au rapport art-argent-cinéma, un sujet vieux comme le monde depuis que l´artiste a gagné en statut et donc en droits, Ghassan Salhab dira à bon escient, qu´à partir du moment où le geste artistique a accaparé l´argent, aux réalisateurs de faire en sorte de ne pas se faire accaparer par ça et le vivre à côté». Pour info, Djilani Saâdi a étudié le cinéma à Paris. Il est animateur dans plusieurs ciné-clubs associatifs dans les années quatre-vingt. Il réalise son premier court métrage, Marchan-dage nocturne, en 1994 puis un moyen métrage, Café-hôtel de l´avenir, en 1997. Son premier long métrage: Korma, le crieur de nouvelles sort en 2004. C´est une mélopée tragique et lyrique contre la bêtise humaine. Son dernier film, Tendresse du loup, réalisé en 2007, dont l´actrice principale est Anissa Daoud, a reçu le prix du jury aux Journées cinématographiques de Carthage. Son prochain film est un long métrage en tournage intitulé Winou Baba? Il s´agira du défi de Halim ou comment faire pour s´en sortir et vivre dans un monde marginal.