Mesdames, Messieurs, Permettez-moi d�abord de saluer les organisateurs de cette manifestation qui, parce qu�elle a trait au cin�ma et � l�une de ses probl�matiques li�es au secteur de la presse � qui est le mien depuis une quarantaine d�ann�es � m�a doublement interpell�. D�abord, il s�agit d�une rencontre o� je retrouve des amis, des cr�ateurs et des journalistes qui ont donn� � l�expression cin�matographique ses lettres de noblesse. Ensuite, parce qu�elle se d�roule dans une ville qui a marqu� mon initiation au septi�me art, et ce durant mes ann�es de lyc�e. D�abord simple spectateur des p�plums et des westerns, avide de d�couvertes et d��motions, j�ai pu tout de suite comprendre que le cin�ma n��tait pas seulement un spectacle mais qu�il nous invitait aussi � r�fl�chir sur notre monde. Ainsi, j�ai pu acc�der au rang de cin�phile, fr�quentant assid�ment la Cin�math�que du Majestic et lan�ant, au lyc�e Moubarek-El-Mili, un cin�-club avec mon ami Azzedine Cha�bane. C�est autant dire que si j�aime le cin�ma, je le dois, entre autres, � cette ville. Apr�s ce pr�ambule, je peux commencer ma modeste contribution qui a �t� rapidement boucl�e car j�ai appris tardivement que mon invitation � cette rencontre devait �tre accompagn�e d�une intervention. I. La critique est difficile quand il s�agit d�art 1. La v�rit� et la r�alit� cin�matographique Le cin�ma est un art, c'est-�-dire une expression de la r�alit�, qui n�est en aucun cas la v�rit�, mais qui, s�en inspirant ou la prolongeant, exprime une sensibilit� propre au cin�aste. Cette sensibilit� peut �tre id�ologique comme elle peut se limiter � une simple interpr�tation de cette r�alit�, soumise � la vue subjective, � la vision artistique du cr�ateur. Voir le cin�ma comme un domaine o� s�exprime la v�rit� est r�ducteur de l�immense capacit� du septi�me art � imaginer les situations les plus invraisemblables. C�est cela la force supr�me du cin�ma : d�passer l�espace et le temps pour sonder les abysses des �poques pr�historiques ou futures et aller jusqu�aux �toiles galactiques ! D�s lors, quel est le r�le du critique, ce sp�cialiste charg� de nous parler du film ? S�il se limite � le raconter, il n�aura rien invent�. Il suffit de lire le synopsis pour avoir un r�sum� de l��uvre. Le critique doit aller plus loin que le film. Il doit l�interpr�ter, l�analyser, le comparer, l�ins�rer dans des pr�occupations qui concernent la soci�t�, le lier � des �v�nements historiques, etc. Forc�ment, cette vision ne peut �tre que subjective. On a beau parler de �critique objective�, celle-ci n�existe pas. Le critique, comme le cin�aste, est prisonnier de ses penchants id�ologiques et de ses go�ts artistiques. Par cons�quent, sa critique est n�cessairement r�ductrice. 2. Des effets n�fastes de la globalisation Ainsi est n�e, petit � petit et au fil des d�cennies, une uniformisation de la critique, elle-m�me fille de la standardisation du produit cin�matographique, le mod�le hollywoodien, c�est-�-dire le cin�ma de spectacle, l�emportant sur le cin�ma � th�me et toute autre forme d�expression artistique �diff�rente�. Le cin�ma d�auteur est r�duit � sa plus simple expression et ne se voit plus que dans les salles d�art et d�essai. Pour �tre r�ussi, un film doit r�unir les ingr�dients � succ�s puis�s dans le mod�le am�ricain et tous les films finissent par se ressembler ! Actuellement, les t�tes d�affiches fran�aises ou espagnoles ressemblent comme deux gouttes d�eau aux productions venues de Los Angeles et il en est jusqu�aux cin�mas du Tiers-Monde qui essayent de mimer les superproductions am�ricaines (voir les derni�res tendances en Egypte et en Inde). Le film authentiquement national, exprimant une r�alit� diff�rente ou des revendications politiques et sociales inh�rentes au combat des peuples, est d�class� automatiquement, car marginalis� par le syst�me dominant. La mondialisation est pass�e par l� ! Dans ce contexte-l�, les critiques de cin�ma influents, que l�on retrouve d�sormais dans les grandes cha�nes de t�l�vision commerciale et dans les revues TV � gros tirages, ne peuvent �tre que le produit de ce syst�me. Les revues sp�cialis�es dans la vraie critique de cin�ma qui se faisaient dans un cadre non commercial et qui �taient anim�es par des passionn�s de cin�ma, des critiques r�ellement ind�pendants, ne sont plus les rep�res incontournables de la vie cin�matographique : ils n�influencent plus le grand public. 3. La fin du cin�ma d�auteur et de la critique ind�pendante ? C�est ainsi qu�un grand film d�auteur, une �uvre majeure, fruit de l�intelligence d�un sc�nariste et du g�nie d�un cin�aste, peut passer inaper�ue parce qu�elle est DIFFERENTE du discours dominant. Cette diff�rence, cette qu�te d�authenticit�, cette marque de divergence, est consid�r�e par les critiques bien-pensants comme une h�r�sie. Un succ�s commercial, souvent un film � spectacle b�tifiant, sera consid�r� comme un chef-d��uvre, alors qu�une cr�ation originale, authentique, sera descendue par le sobriquet de �navet� ! C�est un cin�ma difficile, donc pas rentable. Rentabilit�, le mot est l�ch�. Il n�y a plus de sous dans les caisses des Etats pour sauver ce cin�ma de cr�ation. Certains gouvernements tentent pourtant d�intervenir pour aider le cin�ma, mais les obstacles sont nombreux. Comme la t�l�vision commerciale, le cin�ma a besoin d�audience pour survivre. Les vieux critiques continuent pourtant de lutter contre le syst�me dominant et d�cerner des palmes aux �uvres nationales marginalis�es, mais leur voix se fait de plus en plus faible, submerg�e par la puissance de l�argent. II. De la particularit� de la critique cin�matographique en Alg�rie 1. Un cin�ma ��v�nementiel � et loin du peuple Dans ces conditions g�n�rales, il devient de plus en plus difficile pour les critiques ind�pendants d�exercer leur m�tier. Et pour parler de leur situation en Alg�rie, autant dire que c�est une mission impossible. Et d�ailleurs, peut-on parler de critiques cin�matographiques ici, alors que ce cin�ma � proprement parler n�existe pas ! Pire, m�me si quelques productions ont pu voir le jour gr�ce � des �ann�es culturelles � qui ne r�pondent en rien au besoin imp�rieux d�une v�ritable relance nationale et populaire du cin�ma et qui restent des r�ponses ponctuelles � des �v�nements � caract�re politique ; m�me donc si ces productions ont pu voir le jour, elles ne sont g�n�ralement visionn�es que par quelques milliers de spectateurs au plus ! Quand le cin�ma perd son statut d�art populaire � c�est le plus populaire par d�finition �, car d�pourvu de vie, incapable d�aller plus loin que les c�r�monies officielles ou les festivals, on peut consid�rer qu�il n�existe pas tout simplement. Et si la critique doit continuer � s�exprimer dans ce monde clos et calfeutr�, juste pour continuer � jouer le jeu, � fonctionner en tant que regard n�cessaire au bon fonctionnement de la machine, loin de ses objectifs sacr�s qui sont d��clairer l�opinion publique, cette critique devient alors aussi inutile que les discours politiques qui nous promettent, � chaque changement de ministre, la relance pour l�ann�e en cours ! 2. Une absurdit� : parler de films que personne ne verra En termes plus clairs, le cin�ma n�existe pas si les salles de projection sont inexistantes. Et la critique de cin�ma devient absurde dans un pays o� elle parle aux gens de films qu�ils ne verront pas ! La question cruciale, fondamentale qui se pose aujourd�hui avec acuit� est celle des salles de cin�ma. Tant que le minist�re de la Culture ne nous dit pas clairement ce qu�il compte faire du parc existant � 450 salles � l�ind�pendance, une douzaine aujourd�hui �, tant qu�un programme national de construction de salles de cin�ma (et de salles de spectacles polyvalentes, ce que l�on appelle les complexes multisalles) n�est pas d�cid�, en urgence, par le gouvernement, il ne servira � rien de produire des films et encore moins � parler de critique cin�matographique ! Voil� pour la situation actuelle. Je ne m�attarderai pas donc sur la question relative � la situation de la critique aujourd�hui dans la mesure o�, faute d�audience, si je puis m�exprimer ainsi, cette critique est morte de sa plus belle mort ! Elle continue pourtant de s�exprimer dans certains journaux o� des critiques aguerris, rescap�s de la grande temp�te, tentent, tant bien que mal, de perp�tuer une tradition n�e au lendemain de l�ind�pendance, avec la naissance du cin�ma alg�rien ind�pendant, dont les v�ritables origines remontent cependant � la guerre de Lib�ration. Ces critiques continuent de d�cortiquer les films, de couvrir les festivals, comme si de rien n��tait, comme si, � la lecture d�un de leurs papiers, nous pouvions d�cider de boycotter telle �uvre ou de courir pour ne pas rater telle autre ! Cette situation absurde, on la retrouve �galement dans les page �T�l� des grands quotidiens nationaux qui n�ont m�me pas remarqu� que 95% d�Alg�riens, au moins, ne re�oivent plus les programmes fran�ais ! Sinon, ils auraient arr�t� cette absurdit� qui consiste � publier un guide de cha�nes que seule une infime minorit� de la population continue de recevoir. Le nouveau syst�me de cryptage introduit par Canal Satellite � nouveau propri�taire de TPS � ne permet pas aujourd�hui de pirater ses �missions comme par le pass�. Sans oublier que, d�ici septembre, le bouquet TPS cessera d�finitivement d��mettre. Il aurait �t� plus logique de publier les programmes de Berb�re TV (qui continue d��tre pirat�e) ou de MBC � que regardent une majorit� d�Alg�riens attir�s par les feuilletons turcs qui ont surclass� les �moussalssalate� �gyptiens et les feuilletons sud-am�ricains doubl�s � ou certaines cha�nes du Moyen-Orient et du Maghreb ! C�est bien de faire des quotidiens comme les autres, dans des normes professionnelles ad�quates, avec des rubriques cin�ma et t�l�vision de haute facture, mais pourquoi et pour qui ? 3. Critique cin�matographique ou rubrique �people� La situation actuelle du pays et de la soci�t� a fait d�placer les centres d�int�r�t, et une lecture attentive de certains titres de la presse arabophone nous fait d�couvrir que cette presse-l� tente de r�pondre, avec plus ou moins de bonheur, aux besoins de la nouvelle g�n�ration. Ce qui ne veut pas dire qu�il faut condamner ceux qui tentent de perp�tuer, malgr� tous les obstacles, les traditions �tablies du v�ritable journalisme culturel professionnel dont la critique cin�matographique est un �l�ment incontournable. Lors du dernier festival du cin�ma arabe d�Oran, le jury charg� de d�cerner un prix au meilleur article de presse, s�est trouv� en face d�un probl�me insurmontable : en gros, il n�avait affaire qu�� des articles d�ambiance, � des potins, des interviewes, des scandales ! Dans la majorit� des quotidiens alg�riens, il n�y avait pratiquement pas de vraies critiques des films projet�s. La nouvelle g�n�ration de la presse ind�pendante, form�e dans un pays sans cin�ma, ne pouvait, objectivement, donner un nombre satisfaisant de critiques cr�dibles. Ainsi, on ne peut lui reprocher de ne s�int�resser qu�aux potins et aux d�clarations des stars. Les rubriques culturelles deviennent, peu � peu, des espaces �people� ! Pour d�cortiquer un film, il faut d�abord conna�tre le cin�ma. Or, pour ces journalistes, la diff�rence n�est pas toujours nette entre une �uvre cin�matographique et une production vid�o ! Ensuite, il faut en avoir vu des films, beaucoup de films, de toutes les �poques, de toutes les �coles. Ensuite, il faut avoir b�n�fici� d�une formation cin�matographique minima. 4. Les cin�-clubs, ces grands absents ! Beaucoup de critiques parmi les plus prestigieux ne proviennent pas sp�cialement des grandes �coles mais ont �t� form�s par les cin�-clubs qui pullulaient dans les lyc�es et les universit�s et m�me dans les cit�s populaires. Malheureusement, ces cin�-clubs, v�ritables centres de formation des cin�philes, n�existent plus. Dans ce d�sert culturel, l�art le plus populaire, le seul qui peut se targuer d�avoir cr�� un langage universel, est totalement d�laiss� dans nos centres culturels et nos maisons de jeunes. Voil� qui explique, dans une large mesure, l�absence de v�ritables nouveaux critiques cin�matographiques dans notre pays. La rel�ve n�est pas assur�e� Conclusion Permettez-moi, enfin, de terminer avec ce passage d�un grand passionn� de cin�ma, M Jacques Grant, qui �crivait dans la revue Cin�ma 77 : �Et c�est pourquoi, contrairement � la vie, mieux que dans la vie, pour la vie, le cin�ma, o� on �claire artificiellement les nuits pour y rendre visibles les visages des com�diens, donne importance � l�individuation. Le cin�ma a incontestablement un but, c�est de permettre de voir ce que la vie (le cin�ma critique) cadre, � savoir ce qui se passe quand des hommes sont enfin regard�s, dans le moment unique et privil�gi� du spectacle, vivre des ruptures. � Merci de votre attention ! (Annaba, le 20 juillet 2008) M. F. (*) (Communication pr�sent�e aux 2es rencontres cin�matographiques d�Annaba, 20 et 21 juillet 2008)