«Ceux qui s'impatientent de ma mort, qui calomnient mon nom, A chaque col, devront m'affronter...», chantait Matoub Lounès en 1989. En 2011, ces vers sont d'actualité Ce ne sont pas les institutions culturelles de l´Etat qui vont commémorer l´anniversaire du plus grand artiste berbère de tous les temps. Ce sera la société civile avec les partis politiques et les organisations des droits de l´homme. Le Rebelle est toujours censuré. Même treize ans après son lâche assassinat, il dérange encore l´ordre établi, celui qui ne laisse de place à aucune voix discordante en dehors de celle de la compromission tous azimuts. Aujourd´hui, ils seront des dizaines de milliers de citoyens à rallier le village Taourirt Moussa, près d´Ath Douala pour se recueillir sur le tombeau du chantre de l´amazighité. Dans l´après-midi, Karim Tabbou, premier secrétaire du Front des forces socialistes animera à la salle de cinéma de Draâ Ben Khedda un meeting pour parler de «qui a tué Matoub?». Demain, dimanche, Malika Matoub (présidente de la Fondation Matoub), Farid Bouaziz (cadre du FFS) et Mustapha Bouchachi (Ligue des droits de l´homme) animeront un autre meeting à 14 heures à Tizi Ouzou. Dans la matinée, un rassemblement populaire aura lieu à partir de 10 heures devant le siège de la cour de Tizi Ouzou et ce, à l´appel de la Fondation Matoub Lounès. A travers cette action de rue, la Fondation Matoub, sa famille et les fidèles à la mémoire de Lounès et à la dignité kabyle entendent exiger la vérité sur l´identité des criminels qui ont assassiné le poète anticonformiste ainsi que celle de leurs complices. Par ailleurs, le treizième anniversaire sera l´occasion d´attribuer le Prix Matoub Lounès aux trois lauréats du concours des meilleurs poètes de l´année. Ce n´est pas tout puisque parallèlement, des dizaines d´associations des quatre coins de la Kabylie ont mis en place des programmes de commémoration qui s´étaleront sur plusieurs jours. L´association Amgud de Drâa El Mizan, en plus des activités artistiques et culturelles programmées, a attribué le Prix Matoub Lounès à l´universitaire et militant de la cause amazighe, Saïd Chemakh ainsi qu´à la mythique équipe de football des années quatre-vingt, la Jeunesse électronique de Tizi Ouzou (JET) pour le rôle prépondérant que ce club a joué dans le combat pour la langue et culture amazighes. L´anniversaire de l´assassinat de Matoub, ce sont aussi les dizaines d´activités artistiques et culturelles organisées en France, au Canada et aux Etats-Unis d´Amérique. Jeudi dernier, tous les murs la ville de Tizi Ouzou étaient placardés de posters de Matoub Lounès et une mention inhérente à la revendication de la vérité sur son assassinat. Treize années après son départ, Matoub Lounès reste le chanteur kabyle le plus écouté aussi bien par l´ancienne génération que par les jeunes d´aujourd´hui. Selon des disquaires de la ville de Tizi Ouzou, interrogés hier, Matoub Lounès détient toujours la palme en matière des ventes de CD et de cassettes et ce, malgré la censure dont il est frappé de la part des médias publics et de la part des institutions culturelles étatiques, une censure qui a tout l´air de lui profiter. Le fait que Matoub soit toujours considéré comme persona non grata de ces institutions fait de lui un éternel Rebelle que la disparition physique a encore mythifié et élevé au rang des Hommes qui ne peuvent être ni domestiqués ni récupérés, un Homme libre qui, même mort, fait peur aux hypocrites et aux imposteurs de tout acabit. Pour illustrer la popularité de Matoub Lounès, il suffit de savoir que les douze livres écrits sur lui sont aujourd´hui introuvables dans les librairies puisqu´ils sont épuisés. Pourtant, il s´agit de livres qui ont fait l´objet de grands tirages à l´image du Testament et du Barde flingué de l´écrivain Abderrahmane Lounès ayant été imprimé à deux reprises, dont une au Liban. C´est le cas aussi du livre Mon nom est combat de Yalla Seddiki (Editions La Découverte, Paris) qu´on ne peut trouver dans aucune librairie algérienne. Les autres livres écrits sur la vie et l´oeuvre du Rebelle ne sont plus disponibles sur les étals à l´instar de Matoub, mon frère, de Malika Matoub (Editions Albin Michel), Pour l´amour d´un Rebelle de Nadia Matoub (Editions Laffont), Le Rebelle (Editions Stock). Rappelons que le dernier livre écrit sur Matoub et intitulé L´Assoiffé d´azur de Smaïl Grim est paru en juin 2009 aux Editions Mille Feuilles d´Alger. Actuellement, de nombreux auteurs sont en train de peaufiner des ouvrages sur le Rebelle et des universitaires travaillent sur des thèses en relation avec son oeuvre poétique, à l´instar de Djilali Djerdi (France), Farida Ziane (Canada), Rachida Fittas, Abdellah Arkoub, Youcef Merahi (Algérie). Le livre autobiographique Rebelle, écrit par Matoub en 1995 vient d´être traduit en arabe par un auteur libyen. Il a été confié à un éditeur à Tizi Ouzou et il sera disponible bientôt en librairie. Aujourd´hui, on peut reprendre les mêmes mots de Matoub pour s´adresser à lui et lui dire en s´enorgueillissant: «Ton nom est entré dans l´Histoire, Les générations futures le trouveront, Ce temps de souffrance n´est pas pour toujours, Tu as frayé la voie à la dignité de notre peuple, A présent, sois en paix, honorable Matoub.»