Le FLN a été créé pour libérer le pays Beaucoup de gens le murmurent tout bas, quoique, ici et là, des voix se trouvent pour réclamer la juste «retraite» du Mouvement de libération nationale, transmuté en parti politique. De fait, l'existence même du FLN a faussé la donne politique nationale. D'où la question récurrente, qui ne trouva jamais de réponse adéquate, quant à la place du FLN dans l'Algérie post-indépendante et dans l'espace politique national, espace qu'il a plus ou moins phagocyté, neutralisant l'expression politique plurielle. A la veille de la célébration du 57e anniversaire de l'insurrection du 1er Novembre 1954, et du 49e anniversaire de l'Indépendance nationale (le 5 Juillet prochain), la question de ce qu'il faut faire du FLN est plus que jamais à l'ordre du jour avec en toile de fond la (les) crise(s) aiguë(s) que traverse le vieux parti. En fait, loin de se résorber, et ce nest pas le dernier mouvement d'humeurs de quelques caciques qui nous démentira (cela fait des années que ces mouvements de redressement marquent la vie du FLN), la crise au sein de l'ancien mouvement de libération nationale, récurrente et persistante, donne même l'impression de se radicaliser. Les divergences, qui divisent les courants «frontistes», semblent en fait définitives, induites par des analyses contradictoires, lorsqu'elles ne sont pas erronées et à une course effrénée aux postes de responsabilité, le tout marqué par de fausses priorités. Ces «courants», quand ce ne sont pas des clans, divisent le FLN entre «redresseurs», et «légitimistes», sans exclure pour autant les interventions extérieures. Le vieux parti semble donc avoir emprunté son chemin de Damas. Le FLN, qui n'a jamais réussi sa transmutation en vrai parti politique, est demeuré le mouvement qu'il a été lors de la guerre de Libération. En effet, depuis l'indépendance, il aura surtout servi de paravent et de couverture à toutes les manipulations et instrumentalisations à des fins particulières. De fait, malgré l'institutionnalisation du multipartisme, le FLN continue à se comporter en Etat dans l'Etat. Aussi, se pose désormais, avec acuité, la question de la place du FLN dans l'espace politique national, dès lors que son action paralyse un véritable fonctionnement du champ politique national par la neutralisation de l'expression politique plurielle. Dès lors, la question qui se pose - au moment où l'Algérie joue son destin - est bien celle-ci: que faire du FLN? Une mission achevée le 3 Juillet 1962 En réalité, le FLN ayant honoré son contrat de libérer l'Algérie de la longue nuit coloniale a, dans les faits, achevé sa mission le 3 Juillet 1962, date de la proclamation de l'Etat algérien et sa reconnaissance par l'ancien colonisateur. Cela d'autant plus, qu'après les sombres et sanglants événements de l'été 1962 - qui ont précédé et suivi l'indépendance de l'Algérie - le FLN en tant que mouvement populaire s'est en fait, désagrégé sous les coups de boutoir conjugués de luttes féroces pour le pouvoir et des règlements de comptes. L'anarchie, qui s'est instaurée entre juin et septembre 1962, a définitivement eu raison du FLN devenu simple faire-valoir du pouvoir. Il fut cependant, mis sous perfusion et ressuscité, sous la forme «d'appareil du parti», induisant l'apparition des «apparatchiks» (des hommes d'appareil) à la manière des Soviets. David Rousset écrit à propos du FLN dans France Observateur de novembre 1964: «La difficulté majeure tient, à mon sens, à la personnalité et aux habitudes des anciens responsables du FLN. Ce sont des hommes d'appareil qui se comportent toujours comme des hommes d'appareil, qui manoeuvrent dans le cadre étroit de l'appareil et dont l'objectif immédiat est toujours un compromis de sommet pour le pouvoir». (1) En 2011, soit quarante-neuf ans après, cette analyse se vérifie à travers le spectacle que donnent les hommes du FLN dont l'unanimisme de façade cache mal les luttes sévères pour l'accès au premier cercle du pouvoir. Dans son essence mouvement de libération, le FLN ne pouvait se transformer en parti politique avec tout ce que cela sous-tendait en matière de projet de société, de vision politique pour le moyen et le long terme, de plan de développement intégré, de valorisation de la culture et de réappropriation de l'identité nationale. En foi de quoi, lors du presque demi-siècle d'indépendance, la vie politique s'est figée et n'a jamais été le fait le mieux partagé, alors que la nouvelle génération, marginalisée, est écartée des affaires. En réalité, ce parti, qui se revendique du glorieux FLN, n'était qu'une vue de l'esprit du fait même qu'il était fondé sur les liens familiaux, régionaux et de clientèle. Selon l'historien Mohamed Harbi, le FLN «n'avait pas d'existence propre en dehors de l'ALN. Les noyaux armés ont existé préalablement à toute organisation politique. Ce sont eux qui ont créé les réseaux urbains, nommé les responsables syndicaux, organisé les masses. Les wilayas concentrent entre leurs mains toutes les activités de la révolution»(2). Le FLN est en fait une coquille vide dont l'aura du sigle donna à toute une faune d'accéder aux postes du pouvoir. D'ailleurs, la manière avec laquelle a été étouffée la tentative de l'équipe d'Ali Benflis de couper les liens ombilicaux du vieux parti avec le système, est significative du fait que ceux qui exercent le pouvoir - dont la légitimité reposait sur ce parti historique - n'étaient pas prêts à lâcher la poule aux oeufs d'or s'accrochant à des concepts politiques devenus caducs du fait même de l'avènement du pluralisme politique en Algérie (Constitution de 1989, confirmé par les amendements ultérieurs de la Loi fondamentale). En fait, l'arrêt du Conseil d'Etat invalidant le VIIIe congrès du FLN de 2004, notamment l'annulation des nouveaux statuts qui remettaient en cause la mainmise du système sur le parti, a sonné le glas d'une formation politique dont l'existence se justifiait du seul fait qu'elle constituait le sésame du pouvoir. Quand le FLN est «gelé» par la justice De fait, une autre avanie a été portée au parti historique, le «gel de toutes les activités» du FLN «ainsi que ses comptes bancaires jusqu'à ce que la situation soit mise en adaptation et en conformité avec la loi» décidé, en 2004, par la Cour d'Alger, ultime retombée de l'affaire du 8e congrès. Les «péripéties» qui ont marqué les préparatifs du VIIIe congrès bis du FLN, ajoutées à l'imbroglio induit par le jugement du Conseil d'Etat, indiquent à quel point le FLN n'est pas un parti politique commun. Mais le FLN est-il bien un parti politique? Des éléments de réponse sont donnés par Kamel Bouchama - ancien ministre bien introduit dans l'entourage du système et connaissant les moeurs de ceux qui gravitent autour du FLN - qui souligne sans ambages, «aucun responsable sauf le responsable du secrétariat permanent ne pensait appartenir à un parti organiquement structuré de la base au sommet». Ce qui intéressait ces responsables, ajoutait M.Bouchama, «c'était d'être auprès du chef, d'avoir un rang protocolairement plus fort que celui des autres, des avantages relativement plus substantiels et des moyens certainement plus convaincants vis-à-vis des autres secteurs de l'Etat» (3). Dès lors, il n'existait pas chez ceux-là mêmes se réclamant du FLN, le concept partisan qui fait agir le militant pour défendre des idées, un programme politique, un projet de société. Une crise de régime Aussi, le FLN a-t-il été très tôt perçu comme un marchepied vers le pouvoir et uniquement cela. Ce qui est devenu encore plus vrai lors du Ve congrès du FLN (1984) qui ferma les portes de l'accès au pouvoir, ou seulement aux hautes fonctions de l'Etat, à tous ceux ne disposant pas de la carte du parti, cela en application de l'article 120 des nouveaux statuts, devenus fameux par le fait d'avoir quasiment éliminé les élites du pays de toute fonction de responsabilité, ouvrant ainsi la voie à un exil massif des intellectuels. Aussi, la crise actuelle que traverse le parti FLN est-elle directement induite par la volonté de maintenir le FLN dans le cadre étroit de passage obligé vers le pouvoir. En fait, le FLN tel qu'il est configuré empêche toute alternance de pouvoir ainsi que la nécessaire clarification au fonctionnement politique du pays et à la construction de la démocratie. De fait, les crises cycliques qui traversent le FLN alors que le fossé se creuse entre «légitimistes» et «redresseurs» est avant tout une crise de régime. Aussi, au moment où le pays tente de mettre en place des réformes à même de clarifier la donne et à ouvrir la voie vers la démocratie, se pose donc la question de la place du FLN dans le nouveau champ politique libéré des pesanteurs et autres oukases qui plongèrent l'Algérie dans le marasme dans lequel elle se débat depuis deux décennies. Aussi, le noeud gordien de l'affaire est que, à la veille du cinquante-septième anniversaire du déclenchement de la Révolution de novembre 54 et 49 ans après l'Indépendance d'aucuns persistent à s'accrocher à une légitimité historique qui n'a plus sa raison d'être. En effet, les fondateurs du FLN (les survivants du groupe des 21 qui fonda le Crua et donna naissance au FLN, doivent se compter sur les doigts d'une seule main et encore...), de même qu'une large majorité de la génération de la guerre de Libération ayant disparu, la légitimité historique ne se justifie plus et la légitimation du pouvoir en cette phase de transition ne peut plus se référer à la légitimité révolutionnaire, légitimité qui ne peut plus s'obtenir désormais que par l'urne. D'où l'interrogation qui revient, en leitmotiv, dans les cercles politiques, parmi les observateurs: que faire du FLN? En réalité, beaucoup pensent tout bas, s'ils n'osent encore le clamer tout haut, qu'il est grand temps de remettre ces trois lettres glorieuses, propriété du peuple algérien, symbole du patrimoine historique national, au Panthéon qui leur sied, celui de l'Histoire! Dit autrement, soustraire enfin le sigle FLN aux convoitises politiciennes. Dans les années 80, dans le sillage de l'article 120, des gens se sont autoproclamés «famille révolutionnaire» avec comme effet, une sorte de chasse aux sorcières avec en conséquence, l'exclusion de la responsabilité de milliers d'Algériens, poussant à l'exil l'élite politique, économique et intellectuelle du pays. Aussi, il faut admettre que dans le prolongement de la construction de la démocratie et de l'Etat de droit, le vieux parti est devenu l'obstacle qui parasite les avancées vers les libertés du fait des manipulations et du jeu politicien auquel s'adonnent ceux qui ont pris en otage le FLN. La légitimité historique n'est plus un critère En vérité, dès lors que les pères de la Révolution ont disparu, par le fait que 75% de la population algérienne a moins de 60 ans (née après le 1er Novembre 1954), la légitimité historique ne peut plus être un critère ni une fin en soi, ne serait-ce que pour permettre une lecture non biaisée de la réalité politique du pays. Aussi, soutenir que le moment est venu pour le FLN d'intégrer le patrimoine de la nation, de revenir au peuple algérien, afin de remettre les choses à l'endroit par la soustraction du vieux parti au jeu politicien, entre-t-il dans l'ordre des choses et dans le cadre des réformes en vue de l'instauration de l'Etat de droit. En réalité, deux opportunités se sont offertes aux responsables politiques du pays pour soustraire le FLN à l'instrumentalisation politicienne dont il est l'objet depuis l'Indépendance. La première, au lendemain de l'Indépendance du fait que le contrat du FLN, «libérer le pays», avait été positivement accompli. Or, depuis, le FLN a plutôt servi d'alibi de pouvoir. La seconde opportunité a été celle offerte par la loi sur les associations à caractère politique (ACP, ou partis politiques) introduisant le multipartisme en 1989 qui interdisait l'utilisation des sigles du Mouvement national, tels que l'ENA, le PPA, le MTLD, l'OS, l'UDMA dans l'optique d'éviter leur instrumentalisation à des fins politiques. Après la révolte du 5 Octobre 1988, qui a ouvert la voie au pluralisme politique, il aurait été sain d'amorcer en douceur la rupture avec des moeurs révolues, par l'inclusion à cette liste du sigle du vieux Mouvement de libération, parti emblématique du patrimoine historique national et ne pouvant, en conséquence, servir le jeu politicien. Ainsi, la fin du parti unique et du monopole du fait politique aurait pu et dû inciter à une telle issue par le retrait du FLN avec, à la clé, une lisibilité plus appropriée du champ politique national. D'aucuns se demandent, aujourd'hui, qui est qui, qui fait quoi, dès lors qu'il est question du FLN. Aussi, pour la clarification de la donne politique et pour un meilleur discernement des responsabilités de chacun, il faut bien, d'une manière ou d'une autre, replacer la donne FLN dans le contexte de la réhabilitation du fait politique et de la transparence du jeu politique. Or, la décantation tarde à se faire retardant d'autant la nécessaire clarification du champ politique national. En fait, il aurait fallu, dès les prémices de l'Indépendance, trouver une solution et un statut au FLN. Il est patent que la construction de l'Etat de droit ne peut souffrir l'ambivalence existant autour du parti de la Libération. En réalité, l'Etat algérien a raté deux opportunités qui se sont présentées à lui de retirer dans l'honneur ce sigle prestigieux, (propriété, en fait, du peuple algérien, faut-il le (re)souligner), des affaires politiques afin de le préserver des chausse-trappes du pouvoir. Pour la stabilité politique du pays, pour l'instauration d'une vraie alternance politique, gage de démocratie et de bonne gouvernance, il appartient aujourd'hui aux autorités politiques de faire le bon choix, celui de mettre sous la garde des Algériennes et des Algériens, ces trois lettres, symbole de la libération de l'Algérie. Il faut bien admettre que le FLN a été créé pour libérer le pays, non pour le gouverner. Dès lors, maintenir l'équivoque autour du FLN, c'est continuer à entretenir la confusion alors que le pays a besoin, en ces difficiles moments de transition, de sérénité pour mieux construire son futur. 1) Ramdane Redjala L'opposition en Algérie depuis 1962. Editions Rahma 1991. 2) Mohamed Harbi: «Le FLN mirage et réalité» Editions Jeune Afrique 1980. 3) Kamel Bouchama: «Le FLN, instrument et alibi du pouvoir:1962-1992 Editions Dahlab 1992.