Le gardien du Trône s'est imposé arbitre du changement Le nouveau «Maroc version 6» n'est pas sorti du vieux carcan de la royauté, comme il l'a été si bien revendiqué par la rue. Les ondes de choc du Mouvement du 20 février qui ont été fortement ressenties par le Palais royal, d'où le projet de référendum qui a été soumis, hier, aux Marocains dépasse donc par sa forme symbolique et les moyens mobilisés tout ce que les courtisans et valets du gardien du trône pouvaient imaginer. Néanmoins, le roi, largement renseigné de l'intérieur et fort conseillé de l'extérieur, s'est imposé et répliqué en véritable chef d'Etat au premier jour de la contestation, menée par les jeunes Marocains, un certain 20 février, lesquels réclamaient, haut et fort, de sortir de «la théorie du sujet et entamer enfin celle de la citoyenneté». Donc, les notions de démocratie, citoyenneté, le maintien du roi, qui règne mais ne gouverne pas, ont été formulées et largement répercutées par la rue, où un mort a été enregistré parmi les manifestants, alors que des dizaines d'arrestations ont été opérées. Donc, la démonstration de force y est. Néanmoins, la visite d'un haut responsable américain au Maroc, au lendemain des fameuses manifestations du 20 février, organisées à travers les grandes villes du royaume, a changé la stratégie du roi dans le traitement du mouvement de contestation, piloté par de grandes foules de jeunes. Le responsable américain, dont la visité a été divulguée par le magazine français, Jeune Afrique, s'est longuement entretenu avec nombre de conseillers de Mohammed VI, pur produit du Makhzen. Des orientations et des recommandations ont été donc soumises au souverain alaouite. Cela en plus, dit-on, des «think tanks (laboratoires d'idées)» américains et français appelés au secours du roi, lesquels n'ont pas perdu une seconde des changements intervenus dans le Monde arabe en général, et l'effet de contagion, en particulier que ces révoltes pourraient produire au royaume chérifien. L'apport de ces «think tanks» pour le compte du royaume était considérable, voire à l'origine de la nouvelle vision du roi. Si le phénomène est relativement récent, les finalités de ces nouveaux think tanks occidentaux ne sont pas exemptes de desseins stratégiques en vue de servir le royaume. Conclusion, on attendait des think tanks de partis politiques, on se retrouve avec des «laboratoires d'idées» en véritables instruments politiques. Donc, le souverain chérifien, ne comptant pas perdre le pari d'asseoir un nouveau Maroc, bâti sur la nouvelle Constitution largement applaudie par l'Occident, est conseillé et bien épaulé par nombre de lobbies. Donc, un «Maroc version 6» est ainsi conçu. D'où, le gardien du Trône s'est imposé arbitre, mais pas partie du changement tant réclamé par les jeunes Marocains. Donc, l'étau de la répression a été desserré par le roi, lequel, peu communicatif, a promis aux Marocains, lors de deux discours, des changements profonds traduits dans le cadre du nouveau projet de la Constitution soumise au référendum. Sans pour autant se référer aux vents des changements, qui se sont répandus dans le Monde arabe, il faut noter que la monarchie alaouite comptait bien introduire un toilettage constitutionnel pour achever, courant 2011, le processus de régionalisation, entamé par le souverain. Cependant, le roi du Maroc, accordant une grande importance aux jugements de ses alliés les Occidentaux, les Américains et les Français en premier lieu, a dû revoir sa méthode de gestion quant à l'ampleur, notamment médiatique, enregistrée par le Mouvement du 20 février, né dans la foulée des révoltes dans le Monde arabe. Référendum constitutionnel Les Marocains ont voté hier La mobilisation des Marocains hier pour un référendum constitutionnel qui doit limiter le pouvoir du roi Mohammed VI au profit du Premier ministre était moyenne hier en fin de journée, selon des chiffres officiels. L'issue positive de cette consultation ne fait toutefois pas de doute, alors que les amendements à la Loi fondamentale proposés par le souverain ont été présentés comme des progrès du royaume vers une monarchie plus parlementaire. Le taux de participation était de 48,1% à 16h00 locales (15h00 GMT), selon le ministère de l'Intérieur marocain, trois heures avant la fermeture des bureaux de vote à 19h00 (18h00 GMT). Les résultats préliminaires sont attendus tard dans la soirée d'hier, mais il faudra attendre demain ou lundi pour les résultats définitifs Mais, aussi des risques d'un dérapage certain, vu la profonde douleur des masses populaires marocaines, vivant dans de conditions de vie très pénibles. Appareils satellites, organisations de masse et structures sécuritaires, visibles et invisibles, sont engagés dans le nouveau chantier pour mener à bon port le tout «frais projet du roi». Sous l'habillage d'une monarchie constitutionnelle, (notons que la nouvelle Constitution réaffirme et renforce le pouvoir du roi allant à l'encontre des demandes populaires et du Mouvement du 20 février), les chargés de mission devaient donc ratisser large pour réussir les desseins du roi. Selon Dris Sedraoui, président de la Ligue marocaine pour la citoyenneté et la défense des droits de l'homme: «la monarchie constitutionnelle tant applaudie au Maroc n'a rien de constitutionnel.» Mais pour rendre ce «mensonge constitutionnel» synonyme de réalité, le Makhzen a accordé des sommes d'argent colossales afin de conforter les desseins du roi, par un vote massif et favorable au projet du palais royal, soumis à référendum. Toujours selon Dris Sedraoui, le gardien du trône a consacré et distribué quelque 9 milliards de dirhams (9 millions d'euros) rien que pour mieux s'assurer l'adhésion de larges foules autour du scrutin. Un référendum portant sur une Constitution qui retient, cependant, dans ses articles 19, 23 et 29 la commanderie des croyants, l'immunité des dahirs et décrets royaux (non susceptibles de recours pour excès du pouvoir du roi), qui figurent dans toutes les moutures constitutionnelles adoptées depuis 1962. Or, les partis politiques n'ont pas jugé opportun de débattre du bien-fondé d'une mouture constitutionnelle qui n'apporte rien de nouveau au final. «Toilettage» constitutionnel largement discuté et débattu dans la rue par les manifestants, ce qui d'ailleurs constitue manifestement une nouveauté radicale dont Mohammed VI a décidé de tenir compte dans la forme, sans pour autant traduire cette demande par la mise en place d'une véritable monarchie constitutionnelle, d'autant plus que le monarque alaouite sauvegarde ses pouvoirs décisionnels dans le cadre de la nouvelle Constitution.