«Je me bats avec tout le monde pour des broutilles» Certaines personnes nous font comprendre qu'il ne faut pas trop les approcher en ces jours de Ramadhan car elles «mordent». «Attention, jeûneur méchant!» Le spectacle est unique en son genre. La scène s'est passée en ce huitième jour du Ramadhan à l'intérieur d'une mosquée à Sétif: l'imam a à peine terminé l'appel à la rupture du jeûne qu'un fidèle s'abat tel un fauve sur un autre pour le rouer de coups et l'anarchie a gagné la mosquée. A Khemis El Khechna, dans la wilaya de Boumerdès, c'est l'imam qui a failli causer l'irréparable: son comportement était contraire au rite malékite. La prière de tarawih a été arrêtée, une bagarre générale allait s'ensuivre entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre, n'était l'intervention de quelques sages. A Ouled Rechache, une localité de la wilaya de Chenchlan, l'imam et son assistant n'ont pas trouvé mieux que de transformer la salle de prières en ring pour régler leurs comptes sous l'oeil médusé des fidèles qui ont rebroussé chemin sans accomplir leur devoir religieux. Certaines personnes nous font comprendre qu'il ne faut pas trop les approcher en ces jours de Ramadhan car ils «mordent». «Attention, jeûneur méchant!» Le Ramadhan fait des siennes même à l'intérieur des mosquées et c'est la nouveauté de ces dernières années. C'est un mélange de grossièretés et d'incivilités avec une touche de mauvaise humeur et de nervosité qui provoquent les altercations. Pour H'sinate, un architecte exerçant chez un promoteur étranger, «Ramadhan rime avec altercation». De nature calme et pondéré, notre architecte qui se dit «conscient de son défaut», devient exécrable quand il jeûne. «Je me bats avec tout le monde pour des broutilles, je vais même jusqu'à provoquer les gens... Je suis comme un drogué», affirme-t-il, d'un air désolé. «Mais le soir quand je mange, je reprends mes esprits et là je prends conscience de mon comportement et je le regrette» explique-t-il non sans «aller ensuite demander des excuses»quand cela est possible. Pour éviter le pugilat, H'sinet préfère prendre son congé au mois de Ramadhan. «Cela m'évite de sortir pendant la journée et me battre avec mes semblables», rapporte-t-il. «S'il te plaît, ne le réveille pas», lance Abdou à un des amis de son grand frère. «Je préfère tenir la boutique seul, plutôt qu'ils viennent m'empoisonner la journée; je vais m'en sortir», lance-t-il en parlant de son frère, Alilou. Les deux frangins sont associés dans un magasin mais à cause de l'attitude de Alilou, pendant le Ramadhan, «je préfère qu'il reste à la maison» dit son petit frère. «Il se bagarre avec les clients, ils est de mauvaise humeur et c'est moi qui doit rattraper le coup.» Sabrina souffre plutôt de la présence de son père durant le Ramadhan. Rencontré au niveau du marché de Kouba à Alger, la jeune fille rapporte que sa mère prend des précautions à l'égard de son père. Est-il dangereux à ce point? «Non, mais ma mère refuse de le sortir, elle le séquestre à la maison dans sa chambre devant la télé. Sinon, elle sait qu'il va s'en prendre à toute la ville...», ironise-t-elle. «Allah Ghaleb, mon frère, je suis fait comme ça, je suis nerveux et je suis conscient de cela. Mais c'est ma nature. Rien ni personne ne pourra me changer», se résigne pour sa part Laïd, enseignant dans un collège dans la banlieue d'Alger. Comme Laïd, beaucoup des personnes interrogées se disent conscientes de leur défaut mais ne font rien pour s'en débarrasser! Qu'en est-il des victimes de cet incivisme? «Dis-moi, que peut-on faire concrètement contre l'incivisme au quotidien sinon se comporter soi-même avec respect?», s'interroge Sofiane, employé dans une banque. «Il y a des jours où je rentre fatigué pas par le travail, mais par ce que j'ai vu ou entendu tout au long de la journée au boulot, dans les transports, en voiture, à pied, dans la rue...», témoigne-t-il. «Crachats, insultes, agressivité, vulgarité dans le langage, stupidité, petite délinquance... ça n'arrête pas. Et ça s'accroît encore plus pendant le mois sacré», poursuit-il. «Vous me direz que c'est propre aux grandes villes mais j'ai voyagé dans ma vie, je me suis même installé durablement à divers endroits et franchement, on est quand même à un cran au-dessus!», se désole-t-il. Pour Sofiane, c'en est trop: «J'aimerais pouvoir agir spécialement sur notre communauté, et je ne sais pas comment (autrement qu'en distribuant des baffes même si parfois ça me démange)». Alors que faire? «Pourquoi ne pas essayer de parler avec les inciviques?», lui demandons-nous. «J'ai déjà essayé et cela ne mène qu'à l'escalade et la violence», répond Sofiane. Il dit également ne plus savoir que faire. «Je songe sérieusement à quitter encore une fois le pays rien que pour ces comportements», confie-t-il. Pour lui, les raisons de cette anarchie sont simples: «Le laisser-aller de l'Etat, la démission des parents. Mais surtout l'école qui n'accomplit pas sa mission d'éducation.» Yamina, une dame d'une soixantaine d'années, dit que sa famille a pris la décision de ne plus passer le Ramadhan en Algérie et cela à cause des atteintes au droit de chacun, au respect de sa personne. «Paroles blessantes, grossièretés, diverses bousculades, interpellations, humiliations meublent notre quotidien pendant le Ramadhan», regrette-t-elle. «L'année prochaine, si Dieu, le veut, on va louer en Espagne avec mes enfants pour le Ramadhan. La journée on restera à la maison et le soir on profitera de nos vacances. Moi je n'en peux plus de cette anarchie!» explique encore Yamina. Quelle solution alors? «L'école, seule l'école peut nous sauver», réplique Aâmi Saïd, enseignant de langue française, retraité depuis des années. Il faut aussi communiquer, mais malheureusement en Algérie, communication veut souvent dire disputer au lieu de discuter», regrette Aâmi Saïd.