Cette hausse sauvage dans les transports est une bombe à retardement Quels desseins inavoués cache cette décision subite qui risque de mettre le feu aux poudres dans un climat social guère enclin à l'apaisement? Le Rubicon vient-il d'être franchi ces deux derniers jours à Tizi Ouzou alors que le ministre des Transports, Amar Tou, se complaît toujours dans un silence que l'on n'arrive pas à décoder? Contre toute attente, les propriétaires des bus desservant la ligne Tizi Ouzou vers Alger, Béjaïa, Boumerdès et Bouira viennent d'annoncer unilatéralement une augmentation des prix des tickets de 50%! Les usagers sont effarés par cette hausse sauvage. Sommes-nous dans une République, M. le ministre? Qui assumera les conséquences qu'engendrera une pareille décision qui ne concerne que Tizi Ouzou? Que cherche-t-on à travers ces agissements, sinon de semer la pagaille et le désordre? Les faits sont graves. Très graves, M. Tou. Les voyageurs qui émergent à peine du cauchemar de la grève qui a duré 47 jours, vont-ils avaler cette pilule amère? En agissant ainsi, les transporteurs démontrent leur esprit vénal. Aussi, le billet pour Alger est passé de 120 à 180 DA, soit une augmentation de 50%. Pour Béjaïa, le voyageur doit s'acquitter d'une somme de 200 DA, le prix du ticket. Cette avidité sans bornes, a atteint, dans certains cas, des augmentations de l'ordre de 100%. Au niveau des transporteurs desservant la wilaya de Boumerdès, il n'y a vraisemblablement aucune limite encore à ce qui est comparable à un lynchage. Le billet de la ligne Tizi Ouzou - les Issers a carrément doublé en passant de 50 à 100 DA. La desserte Tizi Ouzou - Boumerdès est également passée de 60 à 100 DA. Cette hausse des prix du transport qui intervient en plein mois de Ramadhan sonne comme une provocation au sein de la population. Les initiateurs de cette décision n'ont, semble-t-il, pas mesuré la gravité de leur agissement. «C'est un acte inacceptable. Et il y a derrière ces agissements une volonté inavouée de souffler sur le brasier social», s'insurge un citoyen au bord de la crise de nerfs en ce mois de Ramadhan. «Nous sommes surpris par cette décision inattendue», a répondu le directeur des services du transport de la wilaya de Tizi Ouzou, Rezig Kamel, contacté par nos soins pour s'expliquer sur cette décision. Nous avons profité de l'occasion pour vérifier une rumeur qui commence à faire son chemin faisant état d'un accord secret entre les pouvoirs publics et les transporteurs pour l'arrêt de la grève. Sur ce point, le responsable du secteur a été catégorique: «Les transporteurs ont décidé de l'augmentation des tarifs sans consulter au préalable, les pouvoirs publics» et que ce point n'a jamais été discuté lors des réunions qu'ils ont eues avec les grévistes. «Cela prouve que les transporteurs pensent à l'intérêt des citoyens», affirme ironique, le même responsable qui informait que ses services étudient la riposte adéquate à cette augmentation sauvage des prix des billets. Du côté des transporteurs, la décision semble tellement justifiée, à leurs yeux, qu'ils ne sentent pas dans l'obligation d'expliquer ou d'informer les usagers. Nous avons contacté deux opérateurs pour en savoir plus sur les augmentations. Il faut créer un précédent à Tizi Ouzou Sans vouloir outrepasser les prérogatives de leurs représentants qui sont restés injoignables, nos deux interlocuteurs jugeaient peu suffisants les 50% d'augmentation. Le transport coûte plus cher dans d'autres pays. «Si nous appliquions les prix réels, les augmentations seraient de 300% ou plus!» affirme sans ambages l'un deux qui refuse de dévoiler son nom. Dans un communiqué envoyé hier à notre rédaction, l'Onta (Organisation nationale des transporteurs algériens) n'a pas caché sa joie en apprenant cette nouvelle. «Nous appuyons le réajustement des prix des billets de transport que viennent d'opérer les opérateurs de Tizi Ouzou», dit le communiqué soulignant par ailleurs, que «cette décision est légitime et si une quelconque partie conteste cette augmentation, elle n'a qu'à se référer à l'article 18 contenu dans la loi sur le transport dans notre pays». Selon le même document, l'article en question stipule que «les prix sont libres et concurrentiels». Que cache ce communiqué? En appuyant la décision des transporteurs de Tizi Ouzou, l'Onta ne vise-t-elle pas à créer un précédent et profiter de cette aubaine pour étendre l'augmentation des tarifs à l'échelle nationale? Car si les prix sont libres, comme le souligne le communiqué, la concertation est exigée. Il fallait donc débattre de cette décision avec les pouvoirs publics et informer les usagers. Or, cette démarche logique et transparente a été occultée au profit d'une action qui cache mal des intentions à vouloir mettre la pression sur le gouvernement. Des sources bien informées rapportent qu'un bras de fer a été engagé entre les transporteurs et l'Exécutif. On croix savoir d'ailleurs qu'une menace de débrayage national a été brandie par les transporteurs juste après la fête de l'Aïd. Une éventuelle grève des transports à la rentrée scolaire et sociale ne fera qu'accentuer le malaise social. Encore une fois, c'est l'usager qui est pris en otage. La messe est dite. Du côté des transporteurs, le citoyen devient un chiffre multiplié par zéro. Ou, dans le meilleur des cas, le voyageur ne vaut que le prix de son ticket. Pour de plus amples informations, faute de joindre les concernés, nous avons contacté le responsable de l'UNT (Union nationale des transporteurs). L'usager, le dindon de la farce De ce côté, le son de cloche ressemble étrangement à celui entendu dans la gare temporaire, mais avec quelque modération. Bien que «les augmentations soient justifiées», l'UNT juge tout de même que le citoyen est grandement pénalisé. Bien plus encore, il semblerait, selon les propos de M.Bellal, président de l'UNT, que «la peau du citoyen a été vendue par les pouvoirs publics». Une ordonnance ministérielle laisse en effet libre cours aux transporteurs d'augmenter les tarifs selon les prestations offertes. D'après le même orateur, le transport en Algérie ne suit aucune norme. Son équation est difficile à résoudre. Pour justifier l'augmentation, M. Bellal invoque le parallèle entre les tarifs appliqués en France et ceux pratiqués en Algérie. Le billet du trajet Alger-Béchar coûte 1400 DA alors que l'équivalent en France en kilomètres reviendrait à 7000 DA. Notre orateur n'omettra pas non plus de signaler les prix pratiqués par la Snvi dans les années 1970 et ceux de ces derniers mois. Un bus est cédé par la même société nationale à 150 millions de centimes, il y a trois décennies, alors qu'il coûte à présent plus de trois milliards. Comme tout le monde n'a pas de difficulté à trouver des arguments qu'il croit imparables, nous avons tenté de tâter le pouls du côté des voyageurs. «Chacun pour soi et Dieu pour tous. L'Algérie est une jungle. Quel monde fou!» Ces propos sont la réaction d'un étudiant à qui nous avons annoncé cette nouvelle. «J'ai toujours été convaincu que les transporteurs en grève se foutaient royalement de nous. D'ailleurs, pourquoi se soucieraient- ils de nos intérêts? De qui devraient-ils prendre exemple? Y a-t-il quelqu'un qui se soucie de nous?» renchérit un autre jeune, dans un bus urbain de la ville des Genêts. Le voyageur est finalement le dindon de la farce. Ses intérêts ont été carrément bradés. Quels desseins inavoués cache cette décision subite des transporteurs qui risque de mettre le feu aux poudres dans un climat social guère enclin à l'apaisement?