Le peuple algérien n'est pas plus violent que les autres peuples. L'Algérien est-il violent par essence? La société algérienne secrète-t-elle la violence comme la seiche secrète l'encre? La violence terroriste, les affrontements interwilayas de 1962, les émeutes du 5 octobre 1988, la flambée de revendications du printemps noir, toutes les escarmouches sporadiques qui naissent dans les différents wilayas du pays pour contester les décisions prises par les autorités locales, tout cela fait-il partie de la nature de l'Algérien? Peut-on aussi considérer avec Benjamin Stora que la violence actuelle tire sa source du mouvement national? Ou bien alors, peut-on aller plus loin et considérer que la violence est cyclique et qu'elle est inhérente à la société algérienne? Le professeur Mahfoud Kaddache n'est pas du tout d'accord avec cette thèse. Le peuple algérien n'est pas plus violent que les autres peuples. Il n'a recours à la violence que lorsque les autres moyens de régler ses problèmes par des voies pacifiques sont épuisés. Lorsqu'il fait l'objet d'un déni de justice, lorsque il se trouve en face d'un mur, lorsque ses droits élémentaires sont bafoués, l'Algérien prend son couteau et se fait justice. Du moins c'est ainsi que nous avons compris l'idée du professeur Kaddache. Et les exemples à travers l'histoire sont nombreux. Au 4e siècle après J.C, sur fond de schisme religieux, des jacqueries célèbres se sont étalées dans le temps, en fait pendant trois siècles et demi, opposant les Donatistes de Numidie à l'église catholique basée à Rome. Dès la fin de la persécution de Dioclétin, l'évêque Donat organisa le parti des intransigeants (305-321), fomentant des dissidences religieuses et désordre social qui ont emporté l'adhésion populaire. Cette révolte était d'autant plus importante qu'elle s'appuyait sur un mouvement des ouvriers agricoles en lutte contre les abus des propriétaires fonciers. C'était donc une réponse au déni de justice, à la hogra comme on dit aujourd'hui. Les rebellions et les mouvements de résistance qui ont émaillé une bonne partie du 19e siècle étaient provoqués par les injustices criardes générées par le colonialisme qui avait dépossédé les Algériens de leur terre et les avait spolié de tous leurs droits et de tous leurs biens. Et on a bien vu par la suite que l'action politique au début du XXe siècle ne réclamait pas l'indépendance de l'algérie et n'est passée à la phase armée que devant la répression féroce menée par l'autorité coloniale qui confinait les Algériens sous le joug du code de l'indigénat. Les soldats algériens ont activement participé aux deux guerres mondiales contre les Allemands aux côtés des Français, et notamment entre 1939 et 1945, ils ont donné leur sang pour libérer la France de l'occupation hitlérienne. Et ce sont les réponses sanglantes opposées par la France coloniale aux revendications d'émancipation, voire parfois d'assimilation des Algériens qui ont amené à la radicalisation du mouvement national et au passage à la lutte armée. Ce qui n'était pas évident au départ, au vu du rapport des forces opposant une France superpuissante et surarmée à des colonisés dépossédés de tout. Ainsi donc pour lutter contre les abus, il arrive que les moyens pacifiques s'avèrent inopérants et que les couches populaires se heurtent à un mur de répression. La violence s'offre alors à eux comme le seul moyen de se faire entendre et d'arracher des droits. Lorsque les réformes indispensables sont impossibles par des voies normales, il reste une seule voie de recours, celle de la violence. Depuis 1992, la violence islamiste n'a pas été gérée sur le plan politique, c'est pourquoi elle a emprunté des chemins aussi sanguinaires. La violence du printemps noir, qu'il ne faut pas mettre sur un pied d'égalité que la violence terroriste, est encore en action. «Il ne faut pas être un grand génie pour constater qu'il y a une déviation de l'histoire. Parce que nous n'avons pas un pouvoir représentatif. Les élections sont truquées. Les inégalités sociales prennent des formes démesurées.» Quant aux faits actuels, on constate qu'il y a un pouvoir qui n'a pas su résoudre les problèmes, et en face il y a une jeunesse qui est impatiente d'en découdre. D'autre part, il est clair qu'il n'y pas eu une période où le concept démocratique a été une réalité dans le pays, dans le respect de la dignité des hommes. Et pourtant cela devait aller de soi avec le recouvrement de l'indépendance politique, qui devait assurer aux citoyens tous les droits publics, les droits d'association, de réunion, d'expression, de pensée, d'élire et de se faire élire, etc. Ces droits fondamentaux qui ont été usurpés entraînent des émeutes sporadiques plus ou moins étalées dans le temps et des mouvements de violence qui prennent parfois des formes radicales, comme dans le cas de la violence terroriste.