Salah Mouhoubi, politologue, spécialisé dans les questions géostratégiques, les relations internationales et la diplomatie, est auteur d'une dizaine de publications. Il citera parmi ses publications, «Du Désordre à l'ordre, Le Monde à reconstruire» et «Les Vulnérabilités». Dans cet entretien, le spécialiste décortique la question du terrorisme après les évènements du 11 septembre aux USA. L'Expression: Quelles sont les retombées des attaques terroristes du 11 septembre contre les Etats-Unis d'Amérique? Salah Mouhoubi: Les attentats de 11 septembre aux Etats-Unis ont marqué un tournant majeur dans la conception et la définition du terrorisme. Nombre d'analystes ont, d'ailleurs, relevé que les événements du 11 septembre n'ont fait que renforcer et conforter la position algérienne ayant alerté le monde entier sur les dangers de ce fléau. Cela d'une part, et d'autre part, ces attaques ont montré qu'aucun pays n'est épargné par la menace terroriste. Donc, l'Algérie, qui a payé, seule,une décennie durant, les conséquences dévastatrices, voire ayant subi un embargo même de la part des grandes puissances, se voit revenir et rebondir sur la scène internationale après les tristes évènements du 11 septembre et écouté même dans les enceintes internationales, quand les débats se portent sur le terrorisme. Cela dit, les attaques du 11 septembre contre les Etats-Unis d'Amérique ont poussé la communauté internationale à prendre acte du danger du terrorisme confirmant ainsi, voire sans appel, l'approche de l'Algérie. La conférence sur le terrorisme au Sahel abritée par l'Algérie les 7 et 8 septembre dernier et que les travaux d'un grand atelier qui seront présidés par l'Algérie lors du Forum mondial contre le terrorisme, qui se tiendra le 21 septembre prochain à New York, en sont une preuve renseignant à plus d'un titre sur le rôle incontestable de l'Algérie dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Par ailleurs, il faut dire, sur un autre chapitre, que les évènements du 11 septembre ont ouvert une nouvelle ère mondiale offrant aux Etats-Unis d'Amérique le droit d'ingérence même au sein des pays souverains, sous le prétexte de la lutte contre le terrorisme. C'est dire qu'après la chute du mur de Berlin, les Etats-Unis sont sans adversaire de taille. Or, ils ont imposé leur leadership au moment de la rivalité entre les deux blocs et cette suprématie a été voulue par l'Occident dans son ensemble. Ils ont réussi à généraliser la mondialisation à la planète tout entière d'une part, et à imposer leur unilatéralisme dans la gestion de la politique mondiale, d'autre part. C'est par rapport à ce nouveau contexte qu'il faut placer et analyser le terrorisme international. Aujourd'hui, je crains une instrumentalisation du terrorisme international pour exacerber le «choc des civilisations». Il ne faut pas perdre de vue qu'un monde en paix est contraire aux intérêts de l'Occident. J'estime toutefois que, en effet, au nom de la lutte contre le terrorisme international, toutes les turpitudes intellectuelles et idéologiques sont permises puisque, apparemment, l'Occident ne peut progresser et tenir son rôle de leadership sans se créer des «dangers permanents». Donc, l'instrumentalisation du terrorisme pour des intérêts stratégiques demeure une nouvelle arme entre les mains des puissances occidentales? En effet, j'ai bien peur que le terrorisme soit instrumentalisé par certaines puissances étrangères pour s'ingérer dans les affaires internes d'un pays souverain, et ce, rien que pour atteindre des objectifs. D'autant plus, je constate que les cibles du terrorisme sont souvent dans les pays arabes dont les sous-sols sont riches en ressources énergétiques. Et par conséquent, il convient de souligner, dans ce cas de figure, que la lutte contre le terrorisme sert à ouvrir des voies aux interférences étrangères. Cela devient, d'autant plus, plus clair concerrant les agissements des USA au nom de la lutte contre le terrorisme. Les Etats-Unis se sont, aujourd'hui, arrogé le droit de le définir, selon leur propre perception et leurs seuls intérêts et surtout de le gérer suivant leurs convenances. Ce qui veut dire en clair, que leur approche est strictement manichéenne et repose sur le principe du «deux poids, deux mesures». Ce que fait Israël par exemple, en pratiquant depuis toujours et à ciel ouvert, le terrorisme d'Etat est légitime. Tous ceux qui s'opposent à lui sont des terroristes et considérés comme tels par tout l'Occident et notamment les Etats-Unis. L'Occident doit comprendre que l'extinction du terrorisme international dépendra aussi de sa volonté de respecter les autres peuples. En les agressant constamment, en les humiliant du fait de la politique du «deux poids, deux mesures», en imposant le strict respect de la légalité internationale à autrui et, dans le même temps, en fermant les yeux quand d'autres la violent ouvertement et en caricaturant les symboles et les croyances religieux, fatalement on pousse au désespoir des hommes qui n'aspirent qu'à vivre en paix. C'est la raison pour laquelle, il n'est plus de mise de tricher ou de travestir la réalité. Ni l'Islam ni le désespoir des Palestiniens, des Irakiens ou des Afghans ne sauraient être la source d'un terrorisme aveugle et barbare. Le droit d'ingérence est donc né de la lutte antiterroriste prônée par les Etats-Unis d'Amérique? Effectivement, les USA ont conçu une nouvelle logique et une nouvelle vision de l'ordre mondial. Depuis, la présidence de Bush et à la suite des événements du 11 septembre, les USA ont façonné une «nouvelle doctrine stratégique des Etats-Unis». Cette nouvelle doctrine énonce les conditions et les axes du droit d'ingérence des Etats-Unis partout dans le monde. Egalement, je relève que, avec la mise en oeuvre de cette stratégie, les Etats-Unis inaugurent une nouvelle ère qui légitimise leur rôle de gendarme dans le monde. Ils interviennent où ils veulent et ils interfèrent dans les affaires internes de l'importe quel pays qu'ils désirent. Ce sont eux qui déterminent les critères pour coller aux Etats leur étiquette «d'Etats voyous» ou de l' «axe du mal». Enfin, ils n'ont besoin de personne et encore moins du Conseil de sécurité de l'ONU pour intervenir dans les Etats en utilisant les pressions, les sanctions et, bien évidemment, la force. Pour faire oublier l'échec irakien, les Etats-Unis se fixent une autre cible pour faire diversion.