Qui veut pousser les Syriens à s'entre-tuer? Que se passe-t-il en Syrie? Information, désinformation, intox, tout y passe compliquant à l'envi une saine lecture de la situation au pays du Cham. Depuis le début du mouvement de contestation à la mi-mars contre le président Al Assad, le régime syrien accuse des «groupes armés» de tuer des militaires et des civils pour semer le chaos en Syrie, parfois avec le soutien d'Israël ou d'autres pays étrangers. Allant encore plus loin, le ministre syrien des Affaires étrangères Walid al-Muallem, a déclaré lundi devant l'Assemblée générale des Nations unies, que des gouvernements étrangers cherchaient à saboter la coexistence entre les différents groupes religieux en Syrie. «Comment pourrions-nous expliquer autrement les provocations médiatiques, le financement et l'armement de l'extrémisme religieux?» a-t-il dit. «Quel autre but cela pourrait-il servir que de semer un chaos total qui aboutirait au démantèlement de la Syrie?» Les Occidentaux essayent de semer «le chaos total» en Syrie en vue de «démanteler» le pays, a-t-il déploré. Selon lui, les manifestations étaient devenues le «prétexte à des interventions étrangères» Même si la thèse de Walid al-Muallem était dans un premier temps justifiée et vraie, et qu'une manipulation étrangère avait une mainmise sur la dégradation de la situation dans le pays, il reste que, sur le terrain et en raison de la répression sanglante des manifestations qui a fait plus de 2700 morts, les faits sont révélateurs. A ce titre, l'Union européenne et les Etats-Unis ont déjà imposé des sanctions au régime du président Bachar Al Assad, et font pression sur le Conseil de sécurité (dans le but de protéger la population, disent-ils) pour adopter des sanctions à son tour et sans doute rééditer un intervention à la libyenne en Syrie. Mais la Russie et la Chine, deux membres permanents, s'y opposent. «La communauté internationale doit respecter la souveraineté, l'indépendance et l'intégrité territoriale de la Syrie, agir et réagir avec prudence afin d'éviter de nouveaux bouleversements qui menaceraient la paix régionale», a plaidé le ministre des Affaires étrangères chinois Yang Jiechi, lors d'un discours tenu lundi devant l'Assemblée générale. Cette mise en garde voilée du chef de la diplomatie chinoise contre toute action internationale contre la Syrie, est venue en réponse à l'invitation à la Chine, lors d'un entretien, avec la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton, à apporter son soutien à une résolution du Conseil de sécurité. Pour sa part, l'Europe soutient qu'elle imposerait davantage de sanctions contre le régime syrien si la répression continuait. Le chef de la diplomatie allemande Guido Westerwelle a d'ailleurs demandé au Conseil de sécurité d'agir car «les hommes et les femmes courageux en Syrie méritent un signal clair de notre solidarité», a-t-il dit. De leur côté, les Etats-Unis jettent de l'huile sur le feu. Tout en ayant salué, lundi, «la retenue» de l'opposition syrienne face à la répression sanglante des manifestations, ils ont toutefois jugé que l'apparition d'actes armés contre le régime serait normale. Une incitation ouvertement prononcée à un recours aux armes dans la gestion du conflit. Mark Toner, un porte-parole du département d'Etat, a notamment fait état d'informations de presse, qu'il dit «crédibles» selon lesquelles les services secrets syriens torturent et tuent les proches de dissidents pour forcer ces derniers à se rendre. Les opposants «restent en grande partie non armés», a jugé le porte-parole, et tout changement serait de la faute du régime. Pour les opposants, répliquer serait «une question d'autodéfense» a-t-il conclu. Les pays occidentaux n'ont décidément pas l'air d'avoir saisi le message lancé, dès les premiers mois de la contestation, par le peuple syrien, qui a clairement déclaré qu'il refusait toute ingérence étrangère dans son pays. Loin du pragmatisme politique et des intérêts géostratégiques des pays occidentaux, les différentes analyses et études préviennent, quant à elles, des conséquences d'une éventuelle militarisation de la révolte en Syrie. L'idée de militarisation véhiculée par une poignée d'opposants au régime de Bashar Al Assad mènerait inéluctablement à une guerre civile, préviennent des experts. Des appels ont été lancés dans la presse, les réseaux sociaux et les manifestations en faveur d'une «révolution armée» mais aussi d'une intervention militaire étrangère comme en Libye. Mais les experts et des leaders de la révolte mettent en garde contre ce «piège». «Le régime fait tout ce qu'il peut pour pousser à l'armement des manifestants. C'est évident que (ce scénario) lui donnera des arguments plus forts pour réprimer encore plus et un avantage évident puisqu'il a plus d'armes», explique Mme Agnès Levallois, experte du Moyen-Orient. Pour Omar Idlebi, représentant des Coordinations des comités locaux (LCC) qui animent le mouvement de contestation et réfugié au Liban depuis juin «une militarisation déchirera le pays». Selon lui, un conflit armé prendrait de plus une ampleur confessionnelle. Le régime de Bachar Al Assad est issu de la minorité alaouite (branche du chiisme) qui vit en bonne intelligence avec les minorités chrétiennes, tandis que l'immense majorité des 22 millions de Syriens sont sunnites. Malgré ces mises en garde, et la maturité incontestée du peuple syrien qui ne veut pas plonger le pays dans des violences risquant d'engendrer une guerre civile ou une intervention étrangère, certains manifestants ont déjà pris les armes, affirment d'autres experts.