Quelle est la part de la psychose et de la vérité scientifique concernant les attaques à l'anthrax? Sommes-nous réellement à la veille d'une guerre bactériologique? Parallèlement aux manipulations génétiques, ne sévissent pas d'autres pratiques de l'ordre de la manipulation médiatique? «Ce qui se passe aux Etats-Unis n'est pas une épidémie, il n'y a pas de cas de production de grande quantité d'agents pathologiques, c'est juste une psychose», assène Farid Cherbal, généticien, spécialiste en microbiologie, diplômé en France et travaillant à l'Institut de biologie de l'Université de Bab Ezzouar à Alger. D'autant plus que la maladie du charbon ne se transmet pas d'homme à homme. Mais le plus intéressant reste à venir. Pour ce spécialiste, seul l'avis du Centre de détection des maladies et de la prévention américaine, le CDC, situé à Atlanta, doit être pris en considération. Le numéro deux de ce centre avait déclaré que les éléments dont disposent ces médecins, biologistes et épidémiologistes sont minces et que cela les oblige à être «très prudents dans l'interprétation». Une position à l'opposé des déclarations de Washington qui lie les cas isolés de contamination par cette maladie aux actes terroristes du 11 septembre et à Ben Laden. «Il ne faut pas mélanger politique et science», tient à préciser le professeur Cherbal qui rappelle que le CDC est le meilleur centre mondial spécialisé en maladies infectieuses, le premier à avoir parlé d'épidémie lorsque les cas de Sida commençaient à se déclarer il y a une vingtaine d'années. Une haute autorité scientifique, donc. «Si celui qui ne s'est pas empêché de tuer des milliers d'Américains le 11 septembre voulait vraiment entamer une guerre bactériologique, pourquoi se contenterait-il de quelques cas isolés de contamination par l'anthrax?» Or, il s'avère que la question posée par ce spécialiste algérien trouve sa réponse dans les modalités mêmes de la production d'une grande quantité de ces bactéries et de leur propagation et ainsi créer une véritable et catastrophique épidémie. Dans son laboratoire au sein de l'Institut de biologie, il nous explique ainsi le processus de production: il suffit de cultiver les bactéries, les ensemencer et créer de nouvelles colonies. Après une opération de lyophilisation, c'est-à-dire la déshydratation par sublimation à basse température et sous vide afin d'assurer la conservation de cette substance pathologique, on se retrouve avec des spores, entités aptes à la dissémination par l'air, sous forme de poussière par exemple. Là, il ne reste plus qu'à trouver l'outil de propagation, un aérosol ou un canadair. Dans ce cas, c'est-à-dire contamination d'un grand nombre de personnes - les habitants de toute une ville par exemple - le problème qui se pose est celui de la production d'un important stock d'antibiotiques en un laps de temps très réduit. Imaginez une ville comme Alger. Il faut prévoir des stocks d'antibiotiques pour suffire aux trois millions d'Algérois sur la période de huit semaines! «Mais, revient notre interlocuteur, pour produire en grande quantité des agents pathologiques, il faut se doter d'un laboratoire, avoir un important appareillage, comme par exemple un lyophilisateur, un appareil énorme et disposer d'un personnel hyperqualifié». Le spécialiste approfondit encore plus la question en estimant que seuls les fameux laboratoires de type P5 - ces gigantesques installations, n'existent que dans trois pays, un aux Etats-Unis, un autre à Lyon en France et un dernier en Sibérie dans le Grand Nord russe - «c'est dans ces laboratoires que des chercheurs peuvent manipuler des agents pathologiques tels que l'Ebola, la peste ou la variole». Ce n'est que dans ces structures qu'on peut «fabriquer» de grandes quantités de bactéries ou autres germes particulièrement dangereux. La sécurité dans ces laboratoires est poussée à l'extrême. «C'est pratiquement le risque zéro», indique le professeur Cherbal, qui marque son scepticisme: «Je vois mal ce genre de technologie hors des pays développés.» Et d'ajouter: «D'ailleurs la circulation d'un tel matériel ne peut passer inaperçue. Ce genre de commande se fait au niveau des grands fournisseurs mondiaux, les grands groupes pharmaceutiques. Un matériel soumis au strict contrôle des Etats concernés.» Le second point concerne le personnel requis pour cette industrie de la mort. Selon ce généticien, «ce sont des personnes qui ont fait des études très poussées, bac+10, et qui connaissent parfaitement le monde des bactéries. Outre cette formation, ils doivent être très pointus dans le domaine de la biotechnologie afin de savoir exactement quels bioréacteurs et quels produits acheter, etc.» En conclusion, le professeur sourit en disant qu'il ne pense pas qu'un pays qui a été ravagé par vingt ans de guerre comme l'Afghanistan puisse abriter de semblables installations. Pour ce qui est des informations en provenance des Etats-Unis et qui évoquent des formes de maladie du char énétiquement modifiées, le spécialiste hausse les épaules en signe de scepticisme: «C'est assez troublant cette affaire de laboratoire de l'Iowa source, soi-disant, des souches modifiées de la maladie, déjà que ce n'est pas évident d'identifier l'origine d'une souche manipulée génétiquement, cas très rare.» Et d'enfoncer le clou: «D'ailleurs, la souche sauvage est déjà très dangereuse et très résistante et n'a pas besoin d'être modifiée.» Mais le leitmotiv de notre interlocuteur reste le suivant: avoir du recul par rapport à ce que déclarent les politiques américains et suivre de très près les avis de le CDC, «qui n'est pas tombé dans le panneau et qui se distingue par des positions rationnelles.» Et nuançant son propos, «cela ne veut absolument pas dire que les attaques à l'anthrax ne sont pas d'origine criminelle.» La psychose, relayée, peut-être même soutenue, par le discours politique américain qui fait obstacle à des lectures scientifiques, ne souscrit-elle pas à une volonté de faire perdurer la guerre contre l'Afghanistan?