Il n'y a jamais eu de situation équivalente en France au XXe siècle Pendant plusieurs décennies, il y a eu la volonté d'organiser un mensonge d'Etat, un secret d'Etat autour de ce massacre. Connu pour ses recherches sur les polices en situation coloniale, l'universitaire Emmanuel Blanchard, auteur de l'ouvrage La police parisienne et les Algériens (1945-1962), a analysé pour l'APS l'attitude de l'appareil répressif du préfet Maurice Papon. Selon lui, la violence policière du 17 octobre 1961 est exceptionnelle, inédite dans le sens où, en situation de maintien de l'ordre, il n'y a jamais eu de situation équivalente en Métropole au XXe siècle. Ce qui se passe le 17 octobre 1961 est une véritable chasse à l'homme dans le cadre d'une gigantesque rafle. Dès que la démonstration du FLN a été connue, l'objectif de la préfecture de police a été d'arrêter le maximum de personnes. Il y a eu 12.000 arrestations ce jour-là et surtout, pour mener à bien ce programme, les violences se sont poursuivies tout au long de la soirée, dans de multiples points de Paris, et avec une dizaine de manières de donner la mort. Il y a eu quelques passants, voire des pompiers, qui ont prêté main forte aux forces de l'ordre, notamment pour jeter les Algériens dans la Seine, en plus de passants qui montraient à la police où étaient les Algériens. Selon l'historien, la répression des Algériens a commencé avant 1961. Dans son dernier ouvrage, il remonte jusqu'à 1944 où le fait de chercher à encercler des groupes d'Algériens venant manifester, le fait de les rafler, dans des contrôles d'identité ont pu exister depuis la Libération. Il pense aussi au 14 juillet 1953, une manifestation du PPA-Mtld lorsque la police ouvre le feu et tue six d'entre eux. Il témoigne que le 17 octobre 1961, ce ne sont pas simplement des militants qui défilent, mais une grande partie de la population algérienne de la région parisienne: hommes, femmes et enfants, soit entre 20.000 et 30.000 personnes qui défilent pacifiquement en respectant des consignes données par la Fédération de France du FLN et qui sont l'objet d'une emprise policière qui n'est pas pré-organisée d'une certaine façon. L'historien considère que le 17 octobre 1961 commence à être connu des jeunes générations. Dans les manuels d'histoire de l'enseignement secondaire, c'est un événement qui est abordé dans le chapitre relatif à la question de la guerre d'indépendance. Depuis 1991 et le premier livre sur le sujet, à chaque commémoration décennale, «on voit un certain nombre de manifestations, d'ouvrages, de reportages à la télévision, de films de cinéma et, cette année, on sent que ce cinquantenaire ne va absolument pas passer inaperçu», dit-il. Il admet qu'il est vrai que pendant plusieurs décennies, il y a eu la volonté d'organiser un mensonge d'Etat, un secret d'Etat autour de ce massacre. «Et, de ce fait, l'évènement qui n'était pas passé inaperçu, au moment même, est passé par pertes et profits des derniers mois de la lutte pour l'indépendance, à la fois du côté français qui tenait absolument à organiser ce mensonge d'Etat, mais aussi des mouvements en lutte du côté algérien, la priorité n'était pas de porter la mémoire de la Fédération de France», dit-il. Qu'en est-il à l'heure actuelle? Un colloque international s'est tenu samedi dernier à l'Assemblée nationale française à l'initiative inédite de l'association au nom de la Mémoire et de la Ligue des droits de l'homme, visant à faire reconnaître par les plus hautes autorités de la République ce qui est qualifié par des historiens de «crime d'Etat». Pour le président de l'association, Mehdi Lallaoui, ce colloque s'inscrit dans le combat de la connaissance des faits tragiques du 17 octobre 1961, jour où des centaines d'Algériens ont été réprimés dans le sang pour avoir manifesté contre le couvre-feu discriminatoire qui leur avait été imposé quelques jours auparavant par le préfet de police d'alors, Maurice Papon. Pour le réalisateur du film Silence du fleuve, tout travail pour la reconnaissance du 17 octobre 1961 n'est pas un combat de nostalgiques, d'hommes et de femmes accrochés au passé. L'historien Gilles Manceron s'est, de son côté, interrogé pourquoi un fait d'une telle importance a-t-il été nié et est tombé dans l'oubli? Il y répond en formulant l'hypothèse des dissensions et les conflits à la tête de l'Etat français et le choix du Premier ministre d'alors, Michel Debré, dépossédé de la politique algérienne et qui, pour se venger en quelque sorte du général de Gaulle, renforce le maintien de l'ordre en Métropole.