Le bédoui est une forme artistique souvent méconnue dont les chantres ont été cheikh Hamada El-Mostaghanmi et cheikh Madani. Parmi les grandes célébrités de l'époque qui ont consacré leur vie à la chanson bédouine et conquis le coeur des anciens, qui, il faut en convenir, savaient apprécier la poésie et le melhoun bédoui, nous citerons le grand et inoubliable Cheikh El-Madani. Celui-ci composa des dizaines de chansons qui sont toujours écoutées à ce jour et les anciens nous avouent que ses oeuvres sont d'une grande valeur, la disparition de cette pléiade de chanteurs de renom comme Si Menouar, Abdelkader Khaldi d'Oran, Ahmed Adda et Bouras Tiareti, Hamada de Mostaganem, Abdelmoula El Abbaci et bien d'autres ont laissé un vide et on constate aujourd'hui que la vraie chanson bédouine a pratiquement disparu. Mais a priori, on remarque que des modifications ont été introduites depuis, alliant de nouveaux textes et paroles aux «kassayedes» avec l'incorporation d'instruments de musique guitare, accordéon, etc...donnant naissance à un style modernisé et c'est un signe de continuité. Cependant, il faut admettre que la génération montante n'apprécie pas ce genre de chansons et c'est dommage. Elle préfère les folles chansons bruyantes, rythmées de leur temps. Tel le raï, ce qui est légitime. Evoquer l'histoire et le passé de ce chanteur de l'art bédoui, c'est honorer les sacrifices en redonnant à la complainte oranaise la place qui lui est due, car il faut reconnaître que ceux qui l'ont côtoyé, écouté et aimé, et ils sont des milliers, attendent toujours la bonne parole de ce genre. De son vrai nom Mahkouka Madani, Ould Adda est né le 21 janvier 1888 au Faubourg Larbi Ben M'hidi, ex-Gambetta à Sidi Bel-Abbès. Originaire de la famille des Ouled Sidi Kadda Ben Mokhtar, localité de la wilaya de Mascara, il fera des études coraniques auprès de son oncle maternel Bouyekhlef Zaâfour et du cheikh Zaoui Bachir l'immam. Dès son jeune âge, il se mit à sillonner le pays, il a fréquenté la «Djemaâ» ainsi que les zaouias de Mascara, Nédroma, Mazouna, H'fir et Oujda (Maroc). Mais c'est Nédroma (wilaya de Tlemcen) et Mazouna (wilaya de Mostaganem) réputées pour leur rayonnement de la culture et du savoir qui seront les lieux de prédilection de cheikh El-Madani. Il y retrouve beaucoup d'amis, parmi eux des Oulamas et de grands moments seront accordés à la lecture du «Coran» et «Dikr». D'autre part, il s'intéressera au «madhe religieux», notamment, il répétait des poèmes. Et son ambition le conduisit vers la chanson bédouine. Doué pour la chanson, il avait un plus, sa voix qui était belle et sensible. El-Bachir l'avait beaucoup encouragé et c'est de cette façon qu'il a fait ses débuts dans la chanson bédouine à Sidi Bel-Abbes portant en son coeur le quartier populaire de la «Gréba» ex-Fg Bugeaud, véritable nombril de la cité avec sa « tahtaha », plus connu sous le nom de place «Fida», haut fait d'armes, beaucoup de symboles et de repères dont la notoriété a dépassé les faubourgs de la ville, entourée des cafés maures tels Si Sbihi actuellement (Le Bosphore), le café Bouariche, Badsi, Le Nil, Le Widad, Le Café des Sports de Daawadji fréquentés par les poètes et cheikhs comme les dénommés Si Ahmed Ould Zine, Fréha Khodja, Ghadi, Kouider Sbihi, Abdelmoula ainsi que d'autres, tous amis de Madani et admirateurs du poète, Benharate auteur de la célèbre chanson «Aïn Badaya» et c'est dans cette effervescence que Madani enregistrera dans les années 20 son premier disque 78 tours chez Gaumont. Animé d'un talent exceptionnel, il fut parolier, interprète et joueur de «Kalouz» plus connu dans la contrée «Bandayère». Madani et sa famille habiteront en 1938 au Fg Bugeaud, aujourd'hui «El-Gréba» à la rue des Maures qu'il ne quittera qu'à sa mort un certain 2 décembre 1954. Il inscrira à son répertoire notamment, des oeuvres de Ali Kora, Bensouiket, Benghenoune et bien entendu la barde de l'Ouest du pays «Mostépha Ben Brahim» qui renferme un répertoire de la poésie d'El Malhoune bédouin très riche, qu'il servira avec sa belle voix et son style particulier. D'autre part, dans ses complaintes cheikh Madani exprime parfaitement l'angoisse de la population qui souffre de s, des privations et autres stigmates et douleurs dues à la précarité sociale dans les quartiers indigènes de l'Algérie provoquées par l'armée coloniale. Par ailleurs, le parcours du cheikh fut marqué, outre l'occupation coloniale par la Première et Seconde guerres mondiales, le bombardement de 1945 et verra dans les années 30 les foudres de la censure pour une chanson consacrée à «l'Emir Abdelkader». Le disque ainsi que d'autres seront saisis par l'administration coloniale. Dans son parcours, accompagné de ses deux gssasbias (flûtistes) les cheikhs «Bouazza» et cheikh «Abdelkader Benhamou», fidèles compagnons, feu Madani va encore enrichir son répertoire avec ses propres chansons, telles «Moulat el hayek», «Ouled M'rabet», «N'oussek ida kount khouya», «Liwanrwaho ya khouya», «Gali Guendouzi» ainsi que d'autres tubes en vogue à l'époque enregistrés chez Pathé Marconi, Pacific et Dukret Thomson. Il sera présent dans les cérémonies de mariages, les galas et festivals dans les régions d'Oranie, de Chlef et en dehors de nos frontières où il fut souvent invité à H'fir et Oujda (Maroc) où il était également très connu et apprécié par le public tout ouïe de ses kassayede et chansons sentimentales et romanesques à laquelle la femme avait droit. Très élégant dans son burnous, ganour, kalf (bottes), Madani, qui était un homme modeste, bon et d'une grande générosité adoptera deux orphelins et aura pour disciples cheikh Sbihi et cheikh Blaha de Sfisef. Par ailleurs, le petit-fils de Madani, en l'occurrence M.Abbès aujourd'hui à la retraite nous confie que le cheikh fut amateur de belles voitures comme la Citroën B14, la Traction 14 CV, dont il sortira une chanson intitulée «Ya tomobile», ce qui lui valu un avantage à savoir : une Traction 14 CV comme cadeau. D'autre part la «Gréba», lieu où a vécu Madani a coupé court avec son passé. Tout a changé, explique ce vieux confectionneur de khamis et djellabas et les habitudes et la vie dans ce faubourg qui ne ressemble en rien à ce qu'il a connu durant le temps où la «Gréba» vivait une atmosphère de quiétude, de couleur et d'activité permanente. Par ailleurs, ce quartier mémoire est le point de rencontre des anciens Bélabbésiens qui ne manquent pas de venir au moins une fois tous les quinze jours pour prendre la température de la ville dans les cafés d'autrefois qui existent toujours. Les discussions tournent autour du bon vieux temps et l'on évoque feu Madani et ses chansons qui sont vivantes et immortelles dans le coeur des anciens.