Le droit à l'information se trouve aujourd'hui au coeur de la crise qui secoue les milieux de la presse algérienne. La suspension de six titres de la presse nationale pose avec acuité la question du rapport de la presse au pouvoir d'une part, de l'attitude du pouvoir face à la presse d'autre part. Toutefois, cette situation n'est pas propre à l'Algérie, elle a de tout temps caractérisé les rapports difficiles entretenus par deux entités détenant à leur manière une part du pouvoir. Et l'information, singulièrement en ces temps de l'hyper communication - ou information de masse constitue un vecteur stratégique, qu'aucun pouvoir, quel que soit son degré d'ouverture, ne peut se permettre de le voir lui échapper ou de se voir contraint de le partager. A leur tour, les éditeurs et journalistes algériens apprennent qu'ils ont encore à lutter pied à pied pour affermir les espaces de liberté qu'ils ont arrachés au prix d'immenses sacrifices. La suspension des six titres de la presse nationale, dont l'Expression, ne déroge pas en fait au concept que le pouvoir se fait du droit à l'information des citoyens, lesquels - selon lui - moins ils en savent, mieux ils se porteront. Cependant reste la question récurrente: peut-il exister la démocratie et la bonne gouvernance, en un mot un Etat de droit, sans que préexiste le droit à l'information, sans que la liberté de dire et de critiquer soient garanties? L'information et le droit d'informer se sont partout standardisés, pour ne point dire popularisés, lorsqu'en Algérie, ils relèvent encore du fait stratégique, voir du fait du prince (cf: cette absurdité qui fait qu'aujourd'hui, l'Algérie est le seul pays au monde où les médias lourds sont contrôlés par l'Etat, qu'elle soit la seule à ne disposer que d'une seule chaîne de télévision, contrôlée par l'Etat, quand des pays africains, même les plus pauvres, disposent au moins de deux chaînes de télévision). L'information, singulièrement en ce troisième millénaire, est partie intégrante du vécu quotidien de milliards d'hommes et de . Si l'information s'est ainsi «démocratisée», et est devenue un droit fondamental, c'est donc la faute à Gutenberg? Voire ! De même, faut-il, comme d'aucuns, estimer que l'information n'est pas toujours bonne à mettre entre toutes les mains, ou encore donner acte à l'incorrigible pessimiste qu'a été François Mauriac, selon lequel «l'information est fausse par essence (...)»? De fait, sans pour autant se perdre dans un extrême ni surdimensionner l'autre, on concède toutefois qu'il y a des règles qui s'imposent autant aux journalistes qu'au pouvoir, sans lesquelles le malentendu perdurera et faussera des relations entre deux entités qui en vérité sont de nature complémentaire. Devenue un des principes de la vie de tous les jours, l'information amène la presse, les médias d'une manière générale, à s'intéresser aux faits et gestes des personnalités de la vie politique, sociale, culturelle, économique, etc. C'est naturel pour tous, cela ne l'est pas toujours pour ceux qui ne conçoivent pas l'information sous cet angle qui donne aux citoyens, certes indirectement, de mieux connaître les hommes qui les gouvernent. Aussi, souvent ce sont ceux que les informations de presse peuvent embarrasser qui sont prompts à réagir de façon disproportionnée par rapport aux faits qui sont rapportés. L'empreinte du parti unique de toute apparence indélébile, la culture du secret ont fait, ces quatre dernières décennies, que le citoyen - pour autant que cette qualité ait une quelconque signification dans un Etat de non-droit - soit le dernier - pour ne point dire jamais - à être informé de faits le concernant en priorité. Estimés immatures par tous les pouvoirs qui se sont succédé au palais d'El Mouradia, les Algériens n'avaient pas à en savoir plus que ce que le gouvernement veut bien, ou est prêt à lui dire, à lui expliquer. En réalité, le pluralisme politique n'a pas généré l'ouverture attendue, pire, des partis politiques se comportent comme autant de partis uniques ayant une fois pour toutes adopté, par mimétisme, les travers du parti FLN, jaloux de leurs prérogatives et ne concevant pas que la presse puisse les remettre en question. N'est-ce pas l'inénarrable Rabah Benchérif, fondateur du PNSD, et accessoirement l'homme du «capital vertical», et de la «mer saharienne» qui s'exclamait furieux (lors d'un débat télévisé de la période d'Abdou B.), incommodé par une question trop précise d'un journaliste, «l'Etat, c'est moi», ou encore l'ancien président Ben Bella apostrophant les journalistes par ce définitif: «vous êtes tous des chiyatine, vous êtes tous du parti de la chita» (de la brosse). Comme quoi la responsabilité politique n'est pas toujours appréciée avec l'humilité qui lui sied - par ceux qui ambitionnent de nous gouverner - comme moyen d'apporter le mieux-être aux citoyens, mais un moyen de sortir du rang, de se placer au-dessus de la «multitude», d'où une certaine dérive vers l'autoritarisme dont font montre nombre d'hommes de pouvoir. L'Algérie de 2003 a changé, les Algériens aussi. Tout au long de ces années de feu des années 90, ils en ont payé le prix le plus précieux, celui du sang, ils ont enduré toutes les souffrances, toutes les vexations, pour que justement la hogra et tout ce qui s'y rapproche n'aient plus droit de cité dans ce pays. Aussi, peut-on aujourd'hui revenir en arrière, mettre entre parenthèse les acquis que sont de la liberté de parole chèrement payée, le droit à l'information que la presse a arraché au prix fort de ses martyrs, nos confrères disparus, qui font que les choses ne peuvent plus être ce qu'elles ont été. Toutes choses égales par ailleurs, la presse a ainsi créé une demande, sinon un besoin, celui d'une information plurielle, une information crédible. Or, longtemps seul producteur de l'information, le pouvoir politique n'a jamais compris ni admis que d'autres secteurs de la vie sociale, culturelle, économique et politique, participent aujourd'hui à la production de cette information. Ce qui fait perdre une part de son auréole au pouvoir, plus exactement aux hommes de pouvoir sommés de s'expliquer devant les citoyens sur leurs actions. S'estimant au-dessus de toute critique, parfois au-dessus, des institutions à part entière, ces hommes de pouvoir (cf: en 1998 le procès du général à la retraite Mohamed Betchine contre les journaux El Watan, Liberté et Le Matin) se mettent sur le même tremplin que la Constitution et les institutions de l'Etat: intouchables! C'est ce malentendu qui fait qu'aujourd'hui, un ministre d'Etat refuse de s'expliquer sur des accusations précises concernant un épisode de son passé, préférant faire l'amalgame entre sa personne et l'institution qu'il gère. Pour éviter de tels cas de figures, il existe dans les démocraties des garde-fous qui font que le gestionnaire est responsable de ses actes et doit s'en expliquer ou en répondre devant la loi (cf: le scandale du Watergate aux Etats-Unis qui contraint en 1972 le président Nixon à la démission). En Algérie on en est encore, en 2003, à faire la confusion entre l'Etat et ses serviteurs. C'est cette confusion qui fait agir - ou réagir, c'est selon - qui est encore mise en branle par les hommes de pouvoir. La suspension des six titres de la presse nationale entre en fait en droite ligne de la manière, à tout le moins éculée, avec laquelle les hommes de pouvoir perçoivent l'information singulièrement lorsque celle-ci dénonce leur gestion hasardeuse de l'Etat, la dilapidation des biens de ce même Etat, ou encore lorsqu'elle met en garde contre les dérives induites par l'instrumentalisation de partis, tel le FLN, par les partisans du président Bouteflika voulant contrôler le parti historique. Le droit d'informer, la consolidation de la liberté d'expression, c'est en fait toute la problématique du droit à l'information qui se trouve ainsi au coeur de la crise qui secoue actuellement la presse nationale, dont trois titres sont toujours suspendus depuis le 18 août. La bonne gouvernance, la démocratie s'apprécient à l'aune des libertés dont jouissent les citoyens, en osmose avec les luttes citoyennes pour le droit d'information sans entrave, le pluralisme d'opinion et son corollaire la liberté d'expression. C'est même le point nodal du bras de fer qui oppose depuis plus d'une décennie la presse aux pouvoirs publics, consommant un divorce de fait.