Après 15 années d'existence de la presse algérienne pluraliste, il est utile de s'arrêter sur certaines vérités bonnes (ou pas bonnes ) à dire. A cet effet, pour mieux envisager l'avenir, un bilan critique sérieusement élaboré s'impose. Cependant, un tel travail ne peut pas faire l'impasse sur le climat de crise multiforme dans lequel ont évolué les titres de la presse privée algérienne née à la faveur de la loi sur l'information adoptée par l'Assemblée nationale le 19 mars 1990. Cet environnement a été marqué, notamment, par le verrouillage du système politique et la violence terroriste qui a entraîné 100 morts parmi les journalistes et les professionnels des médias. La presse a été également confrontée aux harcèlement politico-administratifs, aux cabales judiciaires, aux effets pervers de l'état d'urgence, au chapelet de lois répressives mises en place par les pouvoirs publics, au monopole et au chantage exercés sur la publicité, à la rétention de l'information... Ces années de feu, de pression et de terreur ont été fatals pour de nombreuses publications. Les titres fragiles et les journaux partisans, qui n'ont pas pu avoir une audience nationale, ont vite cessé de paraître (sur les 823 titres créés entre 1989 et 1999, seuls 129 paraissaient encore en 2001 ). La presse dite publique a vu, quant à elle, son tirage se réduire de jour en jour (les six quotidiens publics tiraient à 80 000 exemplaires en 2002). Paradoxalement, la presse privée, qui a assumé tant bien que mal le rôle de contre-pouvoir, s'est développée de façon fulgurante. Certains observateurs de la scène médiatique nationale estiment que la résistance de la presse privée face aux assauts répétés d'un terrorisme aveugle et d'un régime politique qui a, de tout temps, fait peser une chape de plomb sur les médias qui ne plaisaient pas souvent aux dirigeants, constitue à première vue un élément positif. D'autres, en revanche, pensent que la presse a fait profil bas dans les moments de crise qui ont secoué le pays. A ce titre, ils accusent même les médias indépendant d'avoir jeté de l'huile sur le feu et entretenu sciemment, ou par manque de professionnalisme, la confusion dans un paysage politique fortement embrouillé et un climat sécuritaire des plus chaotiques. En cette période, il est vrai, la presse privée a fait et défait des ministres et de grands commis de l'Etat. Elle a révélé des scandales et pris position pour ou contre des projets politiques. Son parti pris dans certaines questions a soulevé un tollé, d'où la contestation, par certains milieux, du qualificatif de « presse indépendante ». Cela, faut-il le reconnaître, faisait aussi partie de son rôle, voire de sa raison d'être. Obéit-elle pour autant à une « feuille de route » élaborée dans quelque officine que ce soit comme n'ont cessé de le ressasser certains ? A ce sujet, des vertes et des pas mûres ont été racontées sur les médias privés, du genre, « ils se sont fait les avocats du diable, des thuriféraires du régime, ils ont pris la défense de la junte militaire, ils se sont attaqués violemment aux organisations non gouvernementales, ils sont les porte-parole du (vrai) pouvoir, ils sont affectés à des services commandés... ». Bien que ces affirmations ne soient pas tout à fait fausses - dans chaque mensonge il y a une part de vérité -, il n'en demeure pas moins que le temps a donné raison à la corporation des journalistes, et que cette presse a relevé bien des défis, en ce sens qu'elle a consacré la liberté d'expression ou du moins contribué à son ancrage et sauver les Algériens de la grisaille de l'information officielle. Sur le plan économique, 15 ans plus tard, le secteur de la presse n'arrive toujours pas à trouver ses marques. La volonté délibérée des dirigeants - ils ne voient dans les médias que des supports de propagande - d'étrangler les entreprises de presse, d'un côté, et l'attitude timorée des éditeurs, d'un autre côté, n'ont pas fait fructifier « l'aventure intellectuelle » pour en faire de véritables entreprises de presse. A l'heure actuelle, bien que ces entreprises soient des sources de grands profits, elles ne disposent pas encore de rotatives privées (à l'exception d'El Watan et d'El Khabar qui disposent d'une seule imprimerie au Centre). Aussi, la plupart des journaux privés restent toujours « parqués » à la Maison de la presse dont les locaux ne répondent à aucune norme en la matière. Ainsi, les journalistes exercent dans un environnement des plus insupportables. A cela, s'ajoute leur précarité matérielle. Selon Rabah Abdellah, secrétaire général du Syndicat national des journalistes (SNJ), 30 % des journalistes exerçant dans les médias nationaux travaillent au noir. « Ils ne sont ni déclarés à la sécurité sociale ni protégés par des contrats de travail en bonne et due forme », a-t-il révélé en précisant que ces journalistes sont, dans la plupart des cas, sous-payés. La presse a également un nouveau défi : celui du professionnalisme. Mais cela suppose également l'investissement dans la formation des journalistes. Tout cela est vécu alors que le poste de ministre de la Communication est vacant depuis le 1er mai 2005 et que le gouvernement prépare trois textes. Une nouvelle loi sur l'information, un décret sur le statut du journaliste et un autre sur la déontologie.