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Le théâtre pour contrer l'enfermement
PRESENTATION DE THE ISLAND AU CCF
Publié dans L'Expression le 30 - 11 - 2011


Un génie du théâtre, en éternelle vadrouille
The Island, pièce pour deux comédiens et mise en scène par Hassan Kassi Kouyaté, a été jouée lundi dernier de façon remarquable.
Les Burkinabés sont forts dans l'art de la scène, de la danse et de la parole! Après s'être distingués cette semaine en raflant la première place au Festival international de la danse contemporaine, ne les revoilà-t-ils pas qui se font de nouveau remarquer et de la plus belle des manières au CCF d'Alger. Lundi dernier, on donna à voir une pièce de théâtre des plus remarquables. Attachante. Son metteur en scène n'est autre que Hassan Kouyaté, fils du célèbre griot feu Sotigui Kouyaté.
Le spectacle a été assuré par la compagnie 2T3M, avec Habib Dembelé et Hassan Kouyaté dans la peau de John et de Wilson, deux prisonniers sud-africains, qui cherchent à tout prix à monter une pièce de théâtre à la portée fortement symbolique, celle d'Antigone. Vont-ils réussir? Adaptée d'après la célèbre pièce du Sud-Africain Athol Fugard, qui met en scène la puissance de l'imaginaire contre l'asservissement, celle-ci remaniée par le soin du metteur en scène, nous plonge au coeur de «l'île de Robben Island en Afrique du Sud où croupirent, dans des conditions insupportables, de nombreux prisonniers politiques dont Nelson Mandela. Deux hommes partagent une cellule.. Deux hommes, qui, chaque matin, entrent dans un cycle de labeur qui détruit l'âme et efface l'esprit sous un soleil brûlant».
«Le trou» dans lequel ils pataugent est symbolisé par ce carré qui sert d'espace de vie autour duquel est disposé du sable de part et d'autre de la scène. Celle-ci est dépouillée. Au spectateur de faire un effort pour s'imaginer l'atrocité du lieu. Dormant à même le sol, se lavant à l'aide d'un chiffon commun, un saut d'eau git par terre, et deux couvertures. Ces deux hommes souffrent du mépris de leur chef... Le soir, dans leur cellule, aussi morts qu'ils peuvent l'être, ils recommencent à vivre en parlant, en riant, et surtout en essayant de ne pas se couper du monde... et préparent une pièce de théâtre: Antigone... Ils répètent inlassablement les grandes lignes de cette tragédie, Wilson doute, craint d'être ridicule, qu'on se moque de lui quand il se déguisera en femme.
L'humour fait place à la tragédie humaine; quant au téléphone les deux prisonniers songent à leur vie extérieure en évoquant les épouses. Silence dans la salle.
Le visage de Wilson se referme, suivi par celui de son codétenu. Place à la méditation, aux douloureux souvenirs et l'âpreté du quotidien. Mais voilà que John reçoit une bonne nouvelle: il ne lui reste que trois mois à tirer en prison sur les trois années passées. Wilson se met dans une colère rouge. Il annonce ne plus savoir qui il est et bientôt de toute façon son codétenu va l'oublier en le laissant seul entre ces quatre murs... «Au revoir l'Afrique», avait-il tonné auparavant. Un signe de détresse qui fait place au procès d'Antigone. Wilson alias Hassan Kouyaté interprète le rôle d'Antigone avec force et conviction et Habib celui du roi Créon, symbole de l'Etat et son pouvoir dictatorial. «Je vais à ma mort vivante», tonne-t-elle en tenant tête au roi qui la met en prison pour avoir enterré son frère et enfreint les lois étatiques, alors qu'elle n'a suivi que la règle de Dieu, celle d'enterrer tous les morts sans distinctions. Antigone la rebelle fait fi contre cette injustice et refuse d'abdiquer sous le poids de cet homme, fusse-t-il un roi. A l'origine, confiera Hassan Kouayé lors du débat qui a suivi la pièce, The Island (l'île prison) a été jouée en 1976, le metteur en scène Athol Fugard comme il était blanc n'a pas été emprisonné, contrairement à celui qui joua Créon. En prison (où on incarcérait les membres de l'ANC, Congrès National Africain), il fait connaissance d'un syndicaliste et tente de le convaincre de monter la pièce en prison. Chose faite, elle sera même donnée en présence de Nelson Mandela, emprisonné durant ces années-là.
«Le théâtre est un moyen de résistance, de combat, on refuse l'enfermement», expliquera en préambule Hassan Kouyaté. Et de renchérir: «J'ai vu cette pièce en 1999 à Paris, elle a fait le tour du monde et j'ai décidé de la monter en y ajoutant des improvisations. Je travaille sur Athol Fugar depuis une vingtaine d'années. Il écrit toujours sur la base des acteurs, deux, pas plus en général. Le théâtre sud-africain est un théâtre immédiat que certains appellent le théâtre pauvre. On suggère les situations, il se donne les moyens pour pouvoir jouer partout et tout de suite. J'ai revu Athol Fugard aux USA. Il a maintenant dans les 80 ans. Son théâtre est magnifique. C'est un cadeau pour les acteurs», a souligné le metteur en scène, rappelant que cette pièce qui fait actuellement l'objet d'une tournée a été déjà jouée dans 14 pays et il lui reste encore 13 dates. «J'ai à mon actif 29 mises en scène. Je travaille sur les urgences de la vie de tous les jours. Souvent ce sont les textes qui m'appellent», a t-il confié. Il ne croit pas si bien dire M. Kouyaté, puisque sa venue à Alger lui a fait rencontrer Mohammed Aïssaoui, qui, subjugué par son livre, a décidé de l'adapter sur scène.
Le livre porte sur l'affaire de l'esclave Furcy lequel, 30 ans avant l'abolition de l'esclavage en 1848, a intenté un procès contre son maître et a gagné l'affaire. Le côté humain plus que l'affaire a beaucoup interpellé Hassan Kouyaté qui fonctionne vraisemblablement au feeling. Boulimique de travail, il a décidé de travailler dessus. Un véritable génie du théâtre qui n'attend pas, ce Kouyaté! Un digne fils de son père!


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