Invariablement, les décideurs se cassent les dents et laissent des plumes à chaque fois qu'il leur prend l'envie de museler le «quatrième pouvoir». Quinze jours. Il n'aura fallu qu'une quinzaine de jours pour que le complot fomenté de toutes pièces contre la presse privée soit éventé, avant d'être réduit à néant. Dès lundi, ou au plus tard mardi, L'Expression compte revenir sur les étals, de même que les deux derniers titres suspendus sur décision politique le 17 août passé. Notre journal s'est acquitté de l'intégralité de ses dettes au niveau des imprimeries du Centre, de l'Est et de l'Ouest. Quant à sa dette contractée auprès de la Simpral, elle sera «réglée» ce jour, grâce au précieux concours de l'Anep, dont l'action en faveur du règlement de cette crise aura été appréciable. L'Expression, qui ne compte que deux années et demie d'existence, a subi avec succès sa première épreuve sérieuse, prouvant par là que sa réussite, face au champ médiatique important, n'était guère le fruit du hasard. Les soutiens, reçus de la part de citoyens, leaders politiques, syndicaux et patronaux nous ont également été d'un précieux secours, prouvant par là que le droit à la libre expression est un acquis sacré, que toute la société algérienne est prête à défendre jusqu'au bout. La bourrasque est passée. Mais la moralité, il en existe même plusieurs, doit être tirée de cette énième mésaventure que connaît régulièrement la presse privée à chaque fois que les princes du moment se sentent dérangés dans leur béate quiétude. Cette fois-ci, la suspension n'aura duré qu'une quinzaine de jours, en dépit des moyens colossaux mis en branle pour garder silencieux le plus longtemps possible les principaux titres de la presse privée algérienne. Cela démontre, si besoin en était encore, que l'existence des journaux privés, indépendants, est devenue une réalité composant le «quotidien» algérien. Les décideurs devront s'en accommoder bon gré mal gré. Car, ne nous y trompons pas, l'issue de ce énième bras de fer n'a été rendu possible que grâce à la fantastique mobilisation citoyenne, politique, syndicale et patronale en faveur des journaux attaqués. La société algérienne a sensiblement évolué depuis les suspensions de 1993, puis de 1998, où il avait fallu un peu plus de temps avant que les journaux ne reviennent et que les décideurs ne soient contraints, honteux, de tirer leur révérence. Le directeur de L'Expression le soulignait fort à propos dans une conférence de presse. A chaque fois que des décideurs s'en sont pris à la presse indépendante, ce sont eux qui y ont laissé des plumes avant d'être contraints de partir. Les journaux, eux, sont toujours là. Plus nombreux et plus importants que jamais. Les décideurs, désormais, devront en tirer les enseignements nécessaires. Il est inutile, dès lors, de chercher à faire taire une plume ou une publication sous peine de redoubler son écho à l'infini tant au sein de l'opinion nationale qu'internationale. C'est tout simplement à des soubresauts désespérés et pathétiques que nous assistons présentement, une fois échoué le coup de boutoir premier, que ses concepteurs, naïvement, pensaient fatal. Les descentes des inspecteurs du travail et de la Cnas ont toutes fait chou blanc. Elles ont eu beau fouiner dans les documents les plus insoupçonnés, comme les instructions politiques leur en avaient été données, elles n'ont rien pu ramener qu'un regain de honte à la face de ceux qui ont pris sur eux d'assumer ce gravissime acte liberticide. Un acte que l'histoire retiendra à leur actif. La campagne de harcèlement policier, puis judiciaire, qui atteint des proportions surréalistes concernant notre confrère Mohamed Benchicou, est, elle, l'expression pure de toute la haine que vouent certains décideurs qui ne peuvent évoluer que dans l'ombre bienfaisante des médias «bien-pensants». Des médias qui marchent au pas et qui, jamais, ne brossent que dans le sens du poil. La différence entre eux et les chauves-souris, c'est que ces dernières trouvent leur chemin invariablement, même dans les nuits les plus noires tandis que nos «tortionnaires» n'ont aucune visibilité et n'obéissent à aucune logique ni loi, depuis qu'ils ont compris que ce siècle n'est pas le leur. Mauvais élève comme on en fait très peu, le pouvoir est tenu de revoir «sa copie» et de recourir désormais aux recours que lui confère la loi au lieu du bâton systématique brandi à chaque fois qu'il se sent menacé dans son devenir propre. Les droits de réponse, les conférences de presse et les plaintes visant à confronter les documents et arguments des uns et des autres sont les garanties des droits des uns et des autres. Mais aussi le signe d'une bonne santé démocratique. En sommes-nous donc si éloignés que cela?