Epidémie, relogement des sinistrés et rentrée scolaire. A quelque chose malheur est bon. Plus de 50.000 cas de conjonctivite ont été enregistrés dans la wilaya d'Alger depuis l'apparition de l'épidémie, selon un bilan du ministère de la Santé. A raison de pas moins de 7000 cas recensés en une seule semaine. L'épidémie jusque-là circonscrite à la capitale se propage désormais à travers les plus grandes villes d'Algérie. La situation est alarmante. La pandémie est finalement décrétée nationale. Plus grave, l'épidémie de conjonctivite risque réellement de prendre toute son ampleur dès la rentrée scolaire et universitaire qui s'annonce catastrophique. La maladie, d'une rare contagiosité, pourrait alors connaître une explosion exponentielle, à tel point que le ministère de la Santé vient de soumettre par écrit au ministère de l'Education son désir de voir reportée la rentrée des classes. C'est dire le casse-tête qui se pose pour les pouvoirs publics, plus que jamais désemparés face au génie du virus. Alors que dans les hôpitaux et pharmacies privées l'on frise la rupture de stock en médicaments. En effet, l'épidémie de conjonctivite coupable de la souffrance de presque le quart de la population composant l'Algérois (Alger et villes avoisinantes) semble s'étendre maintenant implacablement vers d'autres wilayas, risquant de compromettre sérieusement la rentrée scolaire. D'ailleurs, craignant de voir la propagation de l'épidémie dans le milieu scolaire, le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière vient d'élaborer une liste d'instruction qu'il aurait déjà soumis au ministère de l'Education nationale. Parmi ces instructions figure celle de différer la rentrée scolaire. Par ailleurs, près de 50.000 affiches portant les mesures de prévention contre la conjonctivite dans les établissements scolaires seront destinées aux élèves et aux parents. Néanmoins, avec la difficulté que ne manqueront pas de rencontrer les autorités en charge du relogement des sinistrés - dont beaucoup logent dans des écoles primaires - on peut dire «à quelque chose malheur est bon» vu que tout décalage programmé ne pourra qu'atténuer la crise et favoriser un relogement tout en douceur. Pour rappel, c'est à l'orée du mois de juillet que les premiers signes annonciateurs de la maladie ont été constatés à l'hôpital de Beni-Messous, où le professeur Nouri, professeur en ophtalmologie, avait annoncé, dans les colonnes mêmes de notre journal, que plus d'une centaine de malades avaient été auscultés dans son service, à ce moment-là, la direction de la prévention au ministère de la Santé avait retenu l'hypothèse, par ailleurs, toujours valable, que la contagion a été initialement provoquée par des estivants qui se sont aventurés dans les plages ouest de la capitale; ces dernières ont été dès le début de l'été classée impropres à la baignade du fait de leur qualité microbiologique suspecte. Après une trêve trompeuse, la maladie a repris de plus belle; à la mi-août l'épidémie a été déclarée à Alger. De 20.000 cas recensés la première semaine de ce mois, le chiffre a effroyablement doublé pour atteindre les 40.000 - dans la seule capitale - touchant de plus en plus de personnes et de régions, malgré la gratuité des soins décidée par les autorités sanitaires et les conseils prodigués par spots télé et radio diffusés. Ainsi, pas moins de 300 cas nouveaux sont quotidiennement annoncés à Alger - chaque cas coûtant 1000 DA au Trésor public - alors que de nouvelles régions sont progressivement infestées. Des centaines de nouveaux cas sont quotidiennement enregistrés à travers différentes wilayas; les derniers bilans font état de 273 cas à Sétif, 192 à Mostaganem, 300 à Tizi Ouzou (où même la belle plage d'Azeffoun n'a pas été épargnée) et Béjaïa, 51 à Guelma, 22 à Khenchela, 77 à Oran, 116 à Bordj Bou-Arréridj, 55 à Souk Ahras, 119 à Blida, 1000 à Annaba, 32 à Batna. L'épidémie a déjà touché El Tarf (600 km à l'est d'Alger), Tipasa (70 km à l'ouest) où plus de 2000 atteintes ont été recensées, Jijel (300 km à l'est), Aïn Témouchent vient à son tour de sortir de l'anonymat: en dix jours cette wilaya de l'ouest abritant quelque 360.000 habitants recense 324 cas; dont 147 cas comptabilisés par le secteur sanitaire de Hammam Bouhdjar, 90 cas à Béni Saf et 87 autres au chef-lieu de la wilaya. Bouira clôt le tableau avec 680 cas dont 416 dans la seule commune de Lakhdaria et 69 autres dans la localité de Sour El-Ghozlane alors que 59 cas ont été enregistrés à Bouira. Actuellement, tous les chiffres communiqués émanent du secteur public et ne tiennent pas compte des malades qui se seraient soignés dans le privé. Autrement dit, le nombre de personnes touchées par le virus pourrait largement dépasser les estimations dont l'on dispose a priori. Face à l'ampleur du phénomène, le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière n'a de cesse de rappeler la gratuité des soins et des médicaments au sein des hôpitaux publics. De même qu'il rappelle dans ses communiqués que les mesures d'hygiène individuelle et collective sont essentielles devant l'augmentation inquiétante du nombre de cas. Surtout que «la plupart des cas enregistrés seraient dus à un virus qui se propage rapidement dans l'air», indique-t-on encore. Non sans ajouter que les facteurs naturels telle la hausse spectaculaire de la température de cet été ont été pour beaucoup dans l'expansion de la maladie. Cette dernière connaîtrait présentement, du fait de la clémence de la météo, un relatif état stationnaire. Le docteur Kellou chargé de la prévention au ministère de la Santé a, de son côté, affirmé que la chaleur et l'humidité qui sont autant d'ingrédients à un climat tropical, sont très favorables à la prolifération des germes et à leur transmission record, il déplore le manque flagrant d'hygiène lequel aurait largement contribué à la propagation de la conjonctivite aiguë. A propos de cette dernière, l'on en appelle désormais à la conjugaison des efforts entre plusieurs ministères; au département d'Aberkane l'on s'indigne justement contre l'indifférence des autres secteurs: «Nous ne pouvons plus vivre avec ces épidémies. Elles reviennent trop cher au budget du ministère et nous empêchent de nous consacrer à d'autres tâches. Ça devient fatigant pour nous. Les autres secteurs doivent s'impliquer sérieusement pour empêcher l'apparition de ce genre de phénomène. N'est-ce pas que ces maladies sont toutes liées aux mauvaises conditions d'hygiène?». Ce qui fait dire à d'autres responsables que «la gestion de cette crise sans précédent et non la seule de cet été n'est pas du seul ressort de l'administration centrale du ministère de la Santé. Le rôle des directeurs de la prévention est justement de rester derrière leurs bureaux, cependant les failles dans la prévention sont d'abord à chercher au niveau des collectivités locales. Voire du côté du mouvement associatif et des cellules de proximité qui n'ont pas toujours su réagir à temps lors des catastrophes. Ce fut le cas lors du séisme du 21 mai, de la peste à Oran et cette fois avec la conjonctivite». L'on invoque donc la participation de tous les acteurs de la société: de l'industriel au simple citoyen dans la cohabitation avec les risques naturels qui sont de plus en plus fréquents. «Le problème est d'ordre structurel», ajoute-t-on. D'où la nécessité, désormais, de programmer et de gérer l'occurrence des risques en impliquant le maximum d'intervenants. Les conditions climatiques et autres aléas ne pouvant plus être les seules raisons de la détresse des Algériens; lesquels doivent plus que jamais apprendre à prendre en main leur sort en pareil cas extrême. Car comme pour la peste, l'épidémie de conjonctivite met à nu les lacunes de tout le système de prévention: une mission qui n'est peut être pas du seul ressort des équipes médicales dépêchées sur le terrain à chaque fois que le mal est fait. «Le problème est global», disent les observateurs; il exige la participation de plusieurs ministères dont l'Education nationale au premier chef, notamment en introduisant dans les programmes éducatifs les chères notions d'hygiène et d'éducation civique.