Le lot d'intimidations et de mesures arbitraires est hélas loin d'être épuisé. On ne prend plus de bouillon à L'Expression. Aucun invendu après 17 jours de suspension. Le journal est quotidiennement édité sur Internet en plus de la page qui nous est réservée par solidarité confraternelle dans Le Matin et Le Soir d'Algérie. De quoi susciter encore l'ire de Ahmed Oyahia qui fonctionne comme un projecteur dans l'obscurité. Il n'éclaire que ce qu'il veut voir. Il a intimé l'ordre à tous les journaux de payer la totalité de leurs dettes. C'est fait. C'est la logique commerciale, mais encore faut-il aller jusqu'au bout de cette logique. De la facture des 15 milliards L'Expression en a payé 12.5 milliards et il lui en reste moins de 3 milliards qui constituent justement ce que plusieurs organismes d'Etat doivent au journal. Pourquoi le chef du gouvernement ne leur applique-t-il pas sa logique. A tous les autres organismes qui ont des dettes: les ministères (le département de Zerhouni particulièrement), la présidence... Chiche! Généralisez l'opération. Pour Ouyahia, l'homme de Bouadnane comme l'appelait le défunt Matoub, la cible est claire. La presse d'opposition est l'objet d'une avalanche de procès visant à l'intimider et à lui faire baisser le ton sous peine de lourdes conséquences financières et d'emprisonnement. Une dizaine de confrères ont fait (certains d'entre eux refont) l'expérience de campagnes d'intimidation, se trouvant harcelés au téléphone et même par fax par les barbouzes. Une stratégie très efficace contre les journalistes trop critiques: le dépôt systématique de plaintes en diffamation avant le pire. L'information qui catalyse, répercute, explique, classe, simplifie et justifie mais aussi qui mobilise, nos gouvernants n'en ont pas besoin. Il faut réduire les journaux indépendants au plus bas degré de la hiérarchie des informations Les chiens écrasés. Ça sert au moins à maintenir le moral en attendant que le brouillard se dissipe. Fattani s'est coupé les cheveux en quatre après plusieurs jours d'hésitation, ce qui n'est pas le cas de N.Krim qui s'obstine à les garder long. Ahmed Ben Alem, ce vieux routier, ne s'est pas remis de son mal d'orteil et Nacer Mouzaoui ne tarit pas d'histoires. Joyeux, Boucetta se pavane avec le portable du directeur: «C'est pour tromper l'ennemi», ironise-t-il. Oukaci ne bégaie plus à force de lire Omar Khayem et de tourner en dérision les situations les plus inextricables, Zakaria est toujours loquace et ce n'est plus la panique chez Mentouri, maintenant que Rouha s'est retranché dans son bureau pour embrasser toutes les rubriques. Abdoun, lui, n'a toujours rien compris d'un Benalia débonnaire sous le regard attentif de Magraoui encore frais. Il n'y a pas de suspension de salaires. «Vous aurez votre mois complet, je vais signer à l'instant» et le brouhaha repart! «Il y a trop de bruit dans cette salle de rédaction, donnez au moins l'air d'une rédaction suspendue», s'exclame Madjid Ayad, le SG, après un Salamalikoum dont seul lui connaît le secret de l'intonation. Et ça repart avec le jingle «Socket Error» sur l'écran. On nous censure aussi sur le Net? Non, il faut voir avec... l'administrateur, «c'est un problème de provider». Jamais la rédaction n'a connu pareil sentiment de rapprochement que pendant ces moments de suspension. Ouyahia a ce mérite de donner plus de détermination et de courage à une jeune rédaction. Les nouveaux «journaleux» vivent une expérience que les anciens avaient pressentie avec le retour de l'homme qui avait initié, sans états d'âme, l'opération «mains propres». «Vous reparaîtrez quand?», questionne un lecteur au téléphone. «Je n'ai rien, mais je vous donne ma paye et mes bijoux de famille», promet une autre lectrice. Parce qu'aucun développement n'est possible sans la participation effective des masses, que cette participation ne peut s'obtenir que par les relais des moyens d'information, nous maintenons le moral au niveau de notre rédaction et «nous reparaîtrons même si le journal est tiré en ronéo», prophétise un vieux routier de la presse qui en a vu d'autres.