Un texte informel de projet de résolution a été distribué pour discussion par les Etats-Unis. Englué dans des problèmes, de tout ordre, presque insurmontables, Washington dans un «geste d'ouverture» propose au débat du Conseil de sécurité de l'ONU un texte informel d'un projet de résolution sur la constitution d'une force multinationale sous la direction des Etats-Unis. Si les observateurs estiment que le texte américain présente une certaine avancée, au plan du concept de la participation internationale à la solution de la crise irakienne, notent toutefois qu'il demeure assez loin des conditions énoncées, notamment, par le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan. De fait, en réalité et sans surprise, les Etats-Unis, confrontés en Irak à des limites militaires et politiques objectives, jettent du lest sans pour autant renoncer au rôle primordial qu'ils se sont octroyés en Irak. Le rôle «vital» de l'ONU, que Washington ne cesse de proclamer et de mettre en avant, est en vérité très peu visible dans le texte soumis au débat du Conseil de sécurité, débat qui a débuté dans la soirée d'hier au siège à New York de l'ONU. Les Etats-Unis sont ainsi prêts à concéder à la communauté internationale une part importante du maintien de la sécurité en Irak, sans cependant que Washington aille jusqu'à partager avec les Nations unies l'autorité politique de remise en état du pays. Et c'est là la difficulté première, dans la mesure ou les Nations unies exigent en Irak une responsabilité plus conforme avec ses missions. Dans ce contexte, la communauté internationale demande que les Irakiens soient responsabilisés davantage dans la prise en charge des affaires de leur pays sous l'égide des Nations unies lesquelles superviseront en outre la restauration de la sécurité, la reconstruction et la mise en oeuvre des diverses institutions de l'après-Saddam Hussein. En d'autres termes, comme l'explique le président français, Jacques Chirac, toujours aux avant-postes pour défendre le droit des Irakiens de gérer eux-mêmes leur pays il s'agit du «transfert de l'autorité à un gouvernement irakien». Aussi, estime le président français, avis partagé par le chancelier allemand, Gerhard Schröder, le projet de résolution américain «va dans le bon sens» mais a besoin «d'être sérieusement travaillé» surenchérit le président russe, Vladimir Poutine. Les opposants au projet américain regrettent surtout que le texte «reste essentiellement inspiré par une logique de sécurité et ne prend pas suffisamment en compte la nécessité politique de redonner rapidement à l'Irak sa souveraineté en transférant à ses institutions le pouvoir exécutif», analyse le chef de la diplomatie française, Dominique de Villepin, qui note par ailleurs que le projet «ne donne pas assez de responsabilités aux Nations unies dans le processus de transition politique». Ainsi est-il mis en lumière le fossé existant entre la logique d'occupation américaine, Washington n'attendant de la communauté internationale qu'une aide complémentaire par le renforcement des effectifs militaires et policiers en Irak, sans que soit remise en cause sa haute main sur les affaires d'un pays considéré par les Etats-Unis comme relevant de ses intérêts stratégiques. Ce hiatus, prévisible, repose en fait encore, et toujours, le problème des prérogatives allouées aux Nations unies, car il devient évident qu'il y a aujourd'hui inversion des pouvoirs, dans le cas de figure qui occupe la communauté internationale, dans la mesure où ce ne sont pas les Nations unies, à travers le Conseil de sécurité, qui décident des options à prendre, mais c'est bien Washington qui arrête, selon les besoins et intérêts des Etats-Unis, les priorités de l'heure et «autorise», si besoin se fait sentir, les Nations unies à «élargir» sa participation comme cela se passe. La guerre contre l'Irak déclenchée par les Etats-Unis, appuyés par la Grande-Bretagne, sans l'aval du Conseil de sécurité a constitué un coup de force de première grandeur et une rupture du consensus international autour du fonctionnement des Nations unies. Et c'est bien le rôle de l'ONU qui est maintenant en question. En fait, aujourd'hui telles que les choses se présentent, la communauté internationale semble finir par admettre, fusse-t-il à demi-mots, cette extravagance qui voit un Etat, serait-il l'hyperpuissance américaine, se placer au-dessus du Conseil de sécurité des Nations unies et indiquer et formaliser pour lui les labeurs à entreprendre. A ce moment, l'ONU, et son Conseil de sécurité, servent-ils encore à quelque chose lorsqu'il devient évident que pour les Etats-Unis leur réalité aujourd'hui est d'entériner les décisions prises à Washington? Visiblement, une situation juridique de fait semble prendre place qui voit les Etats-Unis commander au nom de la communauté internationale et dispatcher, en fonction des besoins américains, les rôles et interventions que des Nations unies seront appelées ou «autorisées» à mener. Aussi, même si, à première vue, le projet de résolution américain semble signer un recul de la part de Washington, c'est bien pour mieux marquer les limites assignées à l'ONU, qui voit son rôle certes élargi, mais dans les lignes imposées par Washington. Le vocabulaire utilisé par les diplomates onusiens est à ce titre révélateur de l'évolution sémantique et politique intervenue lorsque nombreux sont ceux qui parlent maintenant «d'autorisation» que les USA accordent, ou susceptibles d'accorder à l'ONU, alors que dans un temps pas très lointain, c'est tout à fait le contraire qui était vrai et que ce sont les Nations unies qui autorisent ses membres à des actions au plan international et ce, au nom de la Charte de l'ONU. Ce que spécifie clairement l'article 43 (chapitre 7 de la Charte des Nations unies sur les actions qu'engage l'ONU pour le rétablissement de la paix et de la sécurité) où il est dit que «tous les membres des Nations unies, afin de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales, s'engagent à mettre à la disposition du Conseil de sécurité, sur son invitation et conformément à un accord spécial ou à des accords spéciaux, les forces armées, l'assistance et les facilités, y compris le droit de passage, nécessaires au maintien de la paix et de la sécurité internationales». Nous voyons aujourd'hui que, par un extraordinaire renversement de prérogatives, c'est les Etats-Unis qui demandent aux Nations unies et à la communauté internationale de mettre à la disposition des forces d'occupation de la coalition des renforts militaires, plaçant de fait le Conseil de sécurité en situation subalterne par rapport à la superpuissance mondiale. Le débat ouvert hier au Conseil de sécurité ne fait en réalité qu'entériner une réalité de fait qu'essaient d'endiguer, dans une lutte d'arrière-garde, quelques membres permanents du Conseil de sécurité avec l'apport de l'Allemagne, le plus puissant pays de l'Union européenne.