Combien d'organes publics tiendraient le coup si leurs dettes étaient réclamées par les créanciers? Tout porte à croire qu'il y a des exceptions qui servent à confirmer la règle établie de force par le pouvoir. Les chiffres parlent d'eux-mêmes, alors qu'en politique, on découvre inévitablement un mensonge. Dans le cas de la suspension des titres presse, la vérité n'a pas tardé à sauter aux yeux. Qu'on en juge: dans les 253 milliards que doivent les journaux aux imprimeries de l'Etat, seuls 6 titres sont sommés de payer leurs dettes, alors que sur les 44 restants, toujours en vie, mais également endettés pour bon nombre d'entre eux, ne sont pas inquiétés. Dans ce cas de figure, force est de constater que les règles de la commercialité cèdent le pas à la logique politicienne. Et pour preuve, les dettes de L'Expression, d'Er-Raï, du Matin, du Soir, de Liberté et d'El-Khabar et d'El-Watan, ne représentent que 28% de la dette globale de tous les journaux, soit 72 milliards. Les 181 milliards restants, après un simple calcul mental dénué de toute arrière-pensée politique, ouvrent la voie sur une autre vérité, pour le moins, pénible. Après dix années de braise au cours desquelles des dizaines de journalistes et cadres de la nation ont perdu la vie, rien n'a changé dans le comportement du pouvoir. La politique commerciale est simplement remplacée par la «commercialité politique». La suspension des journaux est la parfaite illustration de cet état de fait et confirme les appréhensions du citoyen qui en subit directement ou indirectement les conséquences. Sans préavis et par une décision unilatérale, des mises en demeure sont envoyées en fin de journée de mercredi, début et veille d'un week-end donc, pour dompter un «voisinage politique» hostile. La part du citoyen est dans le fait qu'avec l'argent du contribuable, le pouvoir soutient, vaille que vaille, des sociétés de médias publics dont les dettes dépassent de loin celles de la presse privée. Cela sans compter les budgets en milliards de dinars consacrés aux médias, partis en salaire sans résultats probants, sans bilan positif. Des outils politiques du pouvoir qui «soulagent» le Trésor public de sommes faramineuses, sans se soucier de développer la solvabilité commerciale, qui constitue justement, le principal argument justifiant la suspension des journaux privés. Combien d'organes publics auraient tenu le coup, si leurs dettes étaient réclamées par les créanciers? La réponse se trouve dans le nombre incalculable d'organes privés ayant mis la clef sous le paillasson. Par ailleurs, selon des «informations documentées» que notre confrère El-Khabar avait récemment rendues publiques, les dettes des institutions et organes de presse publique, à l'exception d'Enasr, envers l'agence de presse APS, a atteint 9,65 milliards. Cela, en dépit de la relation commerciale qui lie toutes les parties, à l'image d'ailleurs de celle en vigueur entre l'APS, les imprimeries et les titres de presse privée. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la presse publique ainsi que certains titres privés ne s'inquiètent pas de ce traitement des deux poids, deux mesures. Sans défendre l'un ou désavouer l'autre, il y a bien lieu de poser la question de savoir pourquoi cette pratique partiale. Imaginons qu'il y ait des éléphants dans ce pays, victimes de braconniers. Comment réagirait un pouvoir qui opte pour une telle politique: réprimer le braconnage? Au point où nous en sommes, on dira que ce pouvoir tuera tous les éléphants pour qu'il n'y ait pas de braconniers. Il n'y a pas plus simple...