Dans beaucoup de capitales occidentales c'est le chant de la victoire. Elles pensent avoir fait plier Moscou dans son soutien à la Syrie. Jeudi dernier, en effet, la Russie qui occupe la présidence tournante du Conseil de sécurité de l'ONU durant ce mois de décembre, a proposé un projet de résolution qui condamne les violences perpétrées en Syrie «par toutes les parties». Cela a suffi pour sortir les trompettes en Occident. Pour eux c'est le veto russo-chinois qui «protège» la Syrie contre une intervention militaire occidentale, qui se fissure. Ils ne le disent pas tout à fait mais laissent croire que la Russie lâche son allié syrien. Pour s'en convaincre, ils avancent que la Russie est fragilisée par la contestation de la rue après les législatives du 4 décembre dernier. Ce qui, selon eux, remet en cause la victoire de Vladimir Poutine aux présidentielles de mars prochain. D'où la «concession» russe. A l'évidence, il n'en faut pas beaucoup à l'Occident pour s'émouvoir et crier victoire. L'analyse est autrement plus complexe. D'abord, l'annonce russe a eu lieu au moment même où le président Medvedev participait à Bruxelles à un sommet UE-Russie, au cours duquel il a promis 20 milliards d'euros à l'Europe pour l'aider à surmonter la crise. Elle a eu lieu également, avant la réunion de la Ligue arabe, prévue ce samedi, au sujet des observateurs qu'elle doit envoyer en Syrie. En rassemblant l'annonce «surprise» du projet de résolution avec l'aide financière à l'Europe, on peut, en effet, penser que la Russie vise à calmer les ONG qui sont derrière la contestation moscovite. Dans le même temps, la Russie semble lancer un signal en direction de la Ligue arabe de tout faire, lors de sa réunion d'aujourd'hui, pour «garder la main» sur le dossier syrien. Ce qui, soit dit en passant, a toujours été le souhait exprimé par l'Algérie. Il faut ajouter que l'adoption d'une résolution comme attendue par les va-t-en-guerre contre la Syrie, est loin d'être gagnée sachant que le projet russe implique «toutes les parties». C'est-à-dire les forces militaires syriennes et les groupes armés de l'opposition qui s'affrontent. Il faudra un temps pour des négociations. «Le texte qui nous est présenté est un texte qui mérite évidemment beaucoup d'amendements car il est déséquilibré. Mais c'est un texte sur la base duquel nous allons négocier», a admis Hillary Clinton. Un accord à l'issue de ces négociations est des plus improbables tant les intérêts russes sont à l'opposé de ceux qui prônent l'intervention militaire. L'unique base navale russe à l'étranger se trouve à Tartous en Syrie. De plus, Moscou n'est pas près de renoncer au colossal marché d'armements conclu avec la Syrie surtout qu'elle a perdu celui qu'elle avait avec la Libye après le coup d'Etat militaire opéré par l'Otan. Le Président l'a clairement exprimé, le 6 décembre dernier, en recevant les lettres de créance du nouvel ambassadeur syrien à Moscou, Ryad Haddad. Il a rappelé que le soutien russe à la Syrie s'appuyait sur des relations historiques (la base russe en Syrie date de 1971) tout en soulignant «qu'il est essentiel que les Syriens cessent la violence dans leur pays, y rétablissent la stabilité et mènent un dialogue national global et efficace». Ce que contient précisément le projet de résolution russe qui émeut tant les diplomates occidentaux. Et si tout ceci ne suffisait à refroidir les ardeurs des partisans d'une intervention militaire, Moscou est très à l'aise en lâchant du lest à l'ONU. Elle sait que, de toutes façons, le veto chinois suffira à bloquer toute résolution du Conseil de sécurité, susceptible d'ouvrir la voie à une ingérence étrangère en Syrie. La balle est donc dans le camp de la Ligue arabe qui se réunit aujourd'hui.