La crise que traverse actuellement la presse privée est, à quelques différences près, la même que celle de 1998. Le contexte politique, les arguments avancés par le gouvernement et la réaction des journaux sont d'une frappante similitude. Pour mettre en évidence ces similitudes, il convient de rappeler quelques éléments majeurs qui avaient marqué cette crise de1998. Genèse du conflit A l'origine de la crise, la publication, pendant l'été 1998, d'une série d'articles prenant ouvertement pour cible le général Mohamed Betchine, ministre conseiller du président Zeroual. Deux quotidiens francophones, Le Matin et El Watan, accusent l'homme le plus influent du régime «d'abus de pouvoir et de détournement de marchés et de biens publics». Quelques semaines plus tard, Mohamed Adami, ministre de la Justice est à son tour mis sur la sellette. Boukrouh, l'actuel ministre du Commerce était le premier à s'attaquer à Betchine. Alors président du PRA, Boukrouh dressait, sur les colonnes du quotidien El Watan, un constat impitoyable de la situation politique et sociale de l'Algérie et de ses dirigeants. Les propos de Boukrouh provoquent un effet d'avalanche et d'autres affaires se sont succédé. Bensaâd, Benboualia et Adami. Des révélations touchant aux hautes sphères de l'Etat semblables à celles rapportées en 2003 par les six titres suspendus de la presse nationale. Détournement de fonds immobiliers du ministère des AE, affaire de la statue du Hamma volée et trouvée chez les amis de Bouteflika, l'affaire Khalifa et les biens acquis par le président et sa famille à Paris et à Dubaï. Enfin l'affaire Zerhouni accusé d'abus d'autorité à l'encontre de Saâdaoui, un ancien moudjahid. Le 14 octobre 1998, une mise en demeure est adressée à quatre quotidiens : La Tribune, Le Soir d'Algérie, Le Matin et El Watan. Les imprimeries d'Etat leur donnent 48h pour régler l'intégralité de leurs créances, rompant de la sorte, d'une façon unilatérale, l'accord de remboursement échelonné conclu avec les éditeurs de journaux en avril de la même année. Le porte-parole du gouvernement, Hamraoui Habib Chaouki, affirmait que la suspension des journaux indépendants résulte d'un contentieux commercial entre les éditeurs et les imprimeurs; ces derniers réfutent l'argument et crient à une suspension purement politique. Les mêmes propos ont été reconduits cinq années plus tard. Le 14 août 2003, les imprimeries d'Etat donnent un ultimatum de 48h aux six journaux incriminés pour régler l'intégralité de leurs créances. Les titres dénoncent le non-respect des accords signés par les imprimeurs et refusent de payer. Ce qui provoque leur disparition des kiosques pendant plusieurs semaines. Le gouvernement soutient qu'il s'agit d'un conflit commercial, mais aux yeux des éditeurs l'affaire est purement politique. Après trois semaines de suspension, l'argument commercial a été démonté. Le 6 novembre 1998, le directeur du quotidien El Watan se rend à l'imprimerie muni d'un chèque de 21millions de dinars représentant sa dette auprès de l'imprimerie depuis 1996, l'imprimerie d'Alger (SIA) avait refusé d'imprimer le journal. «Nous n'avons pas reçu de consignes», ont avoué les employés chargés de réceptionner les bons à tirer. De la même manière, en 2003, le fallacieux argument a été démonté. C'est le pouvoir qui le signifie cette fois-ci. La machine judiciaire a été actionnée contre les journalistes et les directeurs de publication au mépris des lois de la République. Contexte social et politique Aussi bien en 1998 qu'en 2003, ces révélations interviennent sur un fond de crise politique et sociale, de luttes pour le pouvoir entre les clans de la nébuleuse du régime algérien. En 1998, le conflit a engendré deux événements majeurs: le premier a été la démission de Betchine et Adami, ce qui constituait alors un précédent en Algérie. Des hommes forts du sérail se sont tout simplement effacés devant la pression de la presse indépendante. Le second a été les élections présidentielles. Le général Zeroual, président de la République, annonce, lors d'un discours à la nation en septembre 1999, qu'il va écourter son mandat. Initialement prévue en février, l'élection présidentielle est reportée à avril 1999 en plein milieu de la tourmente médiatique. C'est avec le remaniement gouvernemental intervenu en décembre 1998 que le conflit prend fin. Smaïl Hamdani remplace Ahmed Ouyahia à la chefferie du gouvernement et accède aux revendications des journaux privés. Si la décision de Zeroual d'écourter son mandat a été interprétée comme étant un signe de droiture morale, en 2003 le bras de fer presse indépendante-pouvoir est loin d'être terminé. La campagne électorale pour les présidentielles de 2004 fait rage et le dénouement du conflit est intimement lié aux rapports de force au sein des hautes sphères et à l'issue de la crise du FLN. Il reste que la liberté de la presse vantée par le pouvoir de Bouteflika est une chimère. Des menaces pèsent sur la presse indépendante depuis sa création. Elle a survécu à la volonté de l'intégrisme islamiste de l'anéantir et résiste encore aux multiples pressions du pouvoir. Les procédés autoritaires refont surface. Suspensions administratives, intimidations policières et harcèlements judiciaires sont le lot quotidien des journaux et de leurs rédacteurs qui osent croire...