Les corps des 35 villageois kurdes tués mercredi par l'armée turque transportés dans des camions La bavure militaire, met dans l'embarras le gouvernement conservateur turc, qui n'a pas de solution pour le conflit kurde. L'incident s'est produit mercredi soir en territoire irakien lorsque des chasseurs F-16 turcs ont confondu des trafiquants de cigarettes et de carburant, âgés de 16 à 20 ans, avec des séparatistes kurdes qui empruntent le même chemin pour s'infiltrer en Turquie depuis leurs bases du Kurdistan irakien. Mais il a fallu attendre hier pour entendre les premières réactions du gouvernement. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a déclaré regretter cet incident, présentant ses condoléances aux proches des victimes. «Le résultat est malheureusement malencontreux et affligeant», a dit M.Erdogan, chef du gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP, conservateur), sa première réaction à ce qui est qualifiée de «grave erreur» par la presse. Le ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu s'est contenté d'assurer que «la Turquie mène une lutte antiterroriste dans le cadre des principes de l'Etat de droit», évoquant une «exception». Un dirigeant de l'AKP, Hüseyin Celik, avait exprimé jeudi soir la consternation de sa formation et admis un «accident opérationnel». L'affaire a fait couler beaucoup d'encre hier dans la presse et Kemal Kiliçdaroglu, le chef du principal parti d'opposition pro-laïque CHP, a appelé le gouvernement à «se manifester d'urgence» et les responsables à démissionner. «Le gouvernement est toujours prêt à se vanter notamment pour les succès économiques, on se demande pourquoi personne ne s'est excusé au nom du gouvernement», s'interrogeait Fikret Bila, un chroniqueur du journal Milliyet, sur la chaîne CNN-Türk. «L'Etat a bombardé son peuple», tempêtait le journal libéral Taraf. Cette bavure inédite a provoqué une vague de protestations des milieux pro-kurdes qui ont crié au «massacre». L'incident risque de dégrader l'atmosphère déjà détestable entourant le conflit kurde, qui perdure, sans aucune solution en vue, depuis que le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a pris les armes en 1984 pour l'indépendance puis l'autonomie du sud-est turc, peuplé en majorité de Kurdes. 45.000 morts sont à recenser depuis. Les appels à manifester et celui du PKK au «soulèvement» pour protester contre ce carnage rajoutent aux tensions déjà fortes entre les Kurdes et le gouvernement et pourrait accentuer les violences qui ont repris en été entre séparatistes et forces de sécurité. «Le gouvernement ne peut pas, ne doit pas faire enterrer cette affaire», souligne Rusen Cakir, spécialiste du dossier kurde, dans le journal Vatan, affirmant que dans le cas contraire le PKK pourrait intensifier ses attaques. M. Erdogan, dont le parti est au pouvoir depuis 2002, a mis en oeuvre d'importantes réformes démocratiques en faveur des Kurdes (15 millions sur une population de 73 millions). Mais, cédant à l'opinion publique, il a choisi la ligne dure dans le conflit après la mort de plusieurs dizaines de soldats dans des attaques durant la période estivale. La question kurde reste une épine dans le pied du gouvernement d'Ankara qui a fait de la Turquie la 17e économie mondiale et un acteur régional incontournable. En parallèle aux opérations de l'armée en Turquie et dans le nord de l'Irak contre les bases arrière du PKK, une offensive judiciaire sur les ramifications politiques du PKK s'est soldée par l'arrestation de centaines de personnes (militants, élus, intellectuels et journalistes) accusées de collusion avec la rébellion.