Mais qu'est-ce qui fait courir, depuis quatre ans, le président Bouteflika à travers la planète? En jouant au VRP, sans arrêt, depuis son investiture, le chef de l'Etat avait tablé sur le retour en force de l'Algérie dans le concert des nations, avec en prime son rôle de leadership ou de pays influent dans les affaires du tiers-monde, en général, du monde arabe et de l'Afrique, en particulier. Bouteflika n'a eu de cesse de prendre son bâton de pèlerin et de sillonner les quatre continents pour faire réentendre dans les conférences et les symposiums internationaux la voix d'une Algérie frappée d'une longue extinction. Celui que l'on appelait jadis la star de la diplomatie algérienne a-t-il réussi, depuis son retour aux affaires, à redorer le blason d'un pays sorti exsangue d'une longue et coûteuse tragédie? Ce sont là autant de questions qui méritent, aujourd'hui, d'être soulevées au moment où il s'apprête, depuis la tribune du palais de Manhattan, à faire entendre au monde la position de l'Algérie sur diverses questions d'intérêt régional et international : la Palestine, l'Irak, le terrorisme et la situation dans le continent africain. Malgré toutes les promesses faites de recouvrer à notre diplomatie tout son lustre d'antan, l'échec de l'Algérie est aujourd'hui patent. Les hommes chargés de gérer notre politique étrangère sont-ils devenus paraplégiques au point de ne regarder que dans une seule direction : celle de la Maison-Blanche ? Alger n'ose plus dire son mot de peur de décevoir les Américains. De petits pays au sein de la ligue des Etats arabes, qui n'avaient pas voix au chapitre, ont eu le courage de proclamer haut et fort leur opposition, dans toutes les rencontres internationales, à la politique d'occupation américaine en Irak ou aux agressions répétées de Sharon contre l'Autorité palestinienne. Sur les questions vitales liées aux points chauds dans le monde, avouons-le, c'est silence et bouche cousue qui devient la règle d'or de nos dignes ambassadeurs. La seule prestation à retenir dans ce bilan morose de notre diplomatie a été nos bons offices dans le conflit ayant opposé les Ethiopiens aux Erythréens, en 2000. Avec la France, si nos relations ont pu se décrisper après une longue hibernation, cela est dû au seul fait que Paris a fini par comprendre tout le danger qu'il y avait, pour ses intérêts, à maintenir vis-à-vis de nous une politique «improductive» au moment même où les Américains redoublaient d'agressivité pour investir de nouveaux espaces en Afrique. L'Algérie, les Français l'ont bien compris, était sérieusement courtisée par Washington dans sa stratégie de redistribution des cartes dans la région. Chirac refuse que Bush vienne chasser sur ses terres...du Maghreb. Avec les Américains, le seul domaine de coopération reste exclusivement limité aux hydrocarbures depuis les années 1970 à ce jour. Soutenir aujourd'hui l'idée que l'Algérie, avec à sa tête Bouteflika, a fini par retrouver sa place entière dans le concert des nations, est totalement infondé. Il est d'autant plus vrai qu'en politique, ce que l'on fait croire est aussi important que ce que l'on dit réellement. Le flirt avec les Américains a été, pour nous, un échec patent. Le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, qui n'a jamais inclus à ce jour dans ses chassés-croisés diplomatiques ne serait-ce qu'une brève escale d'une heure à Alger, a visité presque toutes les capitales arabes, sans compter Rabat et Tunis qui ont eu plusieurs fois ses faveurs. Il a évité de se rendre à Tripoli, à Sanaâ et à Nouakchott. Ce qui nous renseigne avec éloquence sur le degré d'estime et de...considération que nous accordent nos «amis» américains. Alger reste encore une escale que continuent à éviter les diplomates des grandes nations. Mais hélas, il n' y a pas que l'Occident qui juge que l'Algérie est un pays non fréquentable. Nos frères arabes, y compris nos alliés traditionnels, boycottent Alger. Depuis quand n'avons-nous pas reçu la visite des ministres des Affaires étrangères d'Arabie Saoudite, d'Egypte, de Syrie, de Jordanie, de Palestine, du Koweït, des Emirats arabes unis et même du Yémen? Ces pays qui comptent. Au Caire, au siège de la Ligue arabe, toutes les consultations diplomatiques ayant cours depuis ces trois dernières années excluent l'Algérie. De petits émirats du Golfe, à l'instar du Bahreïn et du Qatar, deux îlots perdus dans l'immensité du désert d'Arabie, arrivent même à régenter le cours de la politique arabe par rapport aux grandes questions de l'heure. Ils ont leur mot à dire sur la Palestine, sur l'Irak et bien sur d'autres sujets. Des chaînes de télévisions comme El-Jazira et El-Arabia ne montrent dans leurs couvertures des réunions arabes ni le drapeau algérien ni encore moins le visage de notre ministre des Affaires étrangères qui demeure pour beaucoup un illustre inconnu. Le diagnostic est terrible: l'Algérie est d'abord marginalisée au sein de sa famille naturelle, celle qui constitue son premier cercle d'intervention depuis toujours, la nation arabe. Il est totalement faux de prétendre aujourd'hui que l'Algérie a recouvré la plénitude de ses moyens en matière de politique étrangère. De jeunes rois, novices en politique, comme Mohamed VI ou Abdallah II ainsi que Bechar El-Assad, exercent une influence permanente sur le cours des événements dans le monde arabe au détriment de ce qu'on croyait avoir de diplomates chevronnés dirigés chez nous par une star, au long mythe, ayant pour nom Bouteflika. La légende du grand ministre des Affaires étrangères de Boumediene a fini aujourd'hui par se dégonfler comme un ballon de baudruche. Le Bouteflika d'aujourd'hui n'est qu'une pâle imitation de l'original ou de ce que l'on croyait être l'original. Pourquoi? Parce que tout simplement ce que l'on admettait jusqu'à hier être le secret de la puissance et de la performance de notre diplomatie dans les années soixante-dix, n'était dû en réalité qu'au prestige et à l'aura de sa Révolution ainsi qu'à des figures ayant pris les commandes de l'Etat comme Ahmed Ben Bella ou Houari Boumediene dans une période caractérisée par la stabilité politique et la richesse pétrolière. C'est ce qui explique pourquoi et comment l'Algérie a été portée au firmament de son génie. Figure de proue des non-alignés, capitale incontournable à la fois du monde arabe que de l'Afrique, Alger la «Mecque des révolutionnaires» selon la célèbre expression d'Amilcar Cabral est encore loin de renaître de ses cendres. Bouteflika a lamentablement échoué là où il avait le plus de chances de réussir. Mais autre époque, autres moeurs. L'Algérie de 2003 n'est plus hélas celle de 1970. «Sortie de la ruche, disait Voltaire, l'abeille n'est qu'une mouche.»