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la loi du poulailler
INDUSTRIE DE LA VOLAILLE
Publié dans L'Expression le 18 - 01 - 2012

Quand vous achetez un poulet plein de 2 kilos, un minimum de 700 grammes va aux ordures
les prix de la volaille sont tout aussi instables que les prix du pétrole.
Quand vous mangez du poulet, êtes-vous bien sûr de manger ce que vous avez acheté? Etes-vous bien sûr que si vous acheter 1 kilo de poulet vous en consommerez réellement 1 kilo? Vous verrez... cette question, vous vous la poserez souvent après avoir lu cet article.
«Le poulet vidé n'est pas un service que vous rend votre volailler mais c'est une obligation», lance comme un pavé dans la mare, M.Idir Saâdi, directeur commercial de l'entreprise Akfa volaille, spécialisé dans l'abattage et le conditionnement de volaille. «La loi interdit strictement la vente de poulet non éviscéré, or les volaillers le vendent plein. C'est non seulement du vol, mais c'est aussi un danger pour la santé», ajoute-t-il d'un air dégoûté. En effet, M.Idir explique que les déchets de poulet sont des niches à bactéries, et le fait de les laisser «mijoter» toute la journée à l'intérieur du poulet peut contaminer la volaille. Mais l'arnaque ne s'arrête pas là «car il faut savoir que quand vous achetez un poulet plein de 2 kilos un minimum de 700 grammes, qui représente les déchets, va aux ordures. Vous mangez donc 1 kg 300 et vous en payez deux», assure-t-il.
«Pour déterminer le coût de revient d'un kilo de poulet prêt à la consommation (PPC) on doit diviser le prix d'achat sur 0.7. Par exemple, aujourd'hui, le kilo est à 200 dinars, il nous revient à 285 dinars le kilo. On leur ajoute nos 20 dinars de marge bénéficiaire et il nous revient à 305 dinars le kilo», explique-t-il. «Par contre, pour déterminer le coût de revient d'un poulet plein on divise le prix d'achat sur la base de 0.9. Le poulet ne revient donc qu'à 220 dinars le kilo. Ajoutez à cela les 20 dinars de marge bénéficiaire le poulet devrait donc être vendu à 240 dinars le kilo. Mais les volaillers ajoutent 40 à 60 dinars de marge, ce qui fait qu'il est vendu aux alentours de 270 dinars», poursuit-t-il. «Malgré cette marge importante, le poulet plein est moins cher que le PPC. Toutefois, le citoyen doit comprendre qu'en réalité sur ce kilo de poulet plein il y a au moins 300 grammes de déchets qui vont aux ordures donc si l'on prend par exemple 270 dinars et qu'on les multiplie par 300 on s'aperçoit qu'on se fait arnaquer de près de 80 dinars qui partent aux ordures», affirme M.Idir. «Les citoyens ne sont pas conscients de l'arnaque dans laquelle ils tombent tous les jours. D'ailleurs, je vous l'avoue moi-même, avant de rejoindre le monde de la volaille je ne le savais pas», admet-il. «C'est pour ces raisons que l'Etat a interdit la vente du poulet plein. Malheureusement, les autorités ne font rien pour vérifier si la loi est bel et bien respectée», regrette-t-il. «Les commerçants sans foi ni loi profitent de ce laxisme de l'Etat pour dicter leur loi et ainsi faire croire à leurs clients qu'ils sont en train de leur rendre un service alors qu'ils les arnaquent», s'indigne M.Saâdi. Malheureusement, ce n'est pas tout: les volaillers usent d'autres subterfuges machiavéliques pour tromper leurs clients. «Avant d'égorger les poulets, ils les bourrent de nourriture pour augmenter leur poids. Mais pas seulement, ils bourrent leurs poulets avec de l'eau pour augmenter leurs volumes. On trouve également du poulet traité aux protéines d'autres mystérieux additifs», rapporte-t-il choqué. M.Idir dénonce de ce fait certaines pratiques frauduleuses et le manque de traçabilité dans l'industrie de la volaille. D'après le directeur commercial de l'entreprise Akfa volaille, l'industrie du poulet est un monde à part, il faut le voir pour y croire. «Je suis dégoûté par toutes les pratiques malsaines qui s'exercent au détriment des consommateurs et de leurs santé», déplore-t-il.
La «Bourse» du poulet sous un pont
Cependant, ce qui peut faire dresser la crête d'un coq n'est autre que la bourse du poulet. Eh oui, vous avez sûrement remarqué que les prix de la volaille en Algérie sont tout aussi instables que les prix du pétrole, si ce n'est plus. Eh bien tenez-vous bien: il existe bel et bien une bourse du poulet. Bien qu'informel, ce marché boursier a tout d'une vraie bourse, avec même ses courtiers. Une chose est sûre: elle est plus active que la Bourse officielle d'Alger. Chaque région dispose de sa propre bourse du poulet. Pour Alger les «Chiken Trader» ont pour terrain le pont de Boudouaou qui mène vers Berahmoun. «Vous vous rendez compte! Un produit aussi sensible que le poulet est vendu et négocié sous un pont! C'est choquant!» regrette-t-il. «Actuellement, personne ne peut dire quand, comment et pourquoi les prix augmentent ou baissent», certifie-t-il. «Il y a des courtiers qui font l'intermédiaire entre les fellahs et les vendeurs de poulet. Ce sont ces derniers qui nous vendent, à nous les abattoirs, le poulet», souligne-t-il. «Ces courtiers manipulent le marché à leur guise. Ils fixent les prix qu'ils veulent. Ils maîtrisent l'art de la spéculation comme de vrais traders sortis des plus grandes universités du monde», explique M.Idir. Il tient ainsi à nous relater comment se négocie le poulet au «CAC-Boudouaou». Tenez-vous bien, vous n'allez pas croire vos oreilles: «Chaque matin les éleveurs ramènent leurs poulets dans ce marché de Boudouaou pour y rencontrer les vendeurs de poulet. S'ensuivent des négociations très serrées entre les deux parties. Ces négociations dépendent de l'offre et de la demande. Quand la demande est grande et l'offre ne suit pas, les prix augmentent.
Mais quand c'est l'inverse, les prix baissent. Alors ces vendeurs de poulets font un tour dans le marché pour tâter le terrain et voir l'offre avant de proposer leurs prix. Ça négocie, ça négocie aux centimes jusqu'au moment où un éleveur cède. A ce moment, le vendeur de poulet qui a en premier réussi à convaincre l'éleveur, crie le prix de sa transaction. Et c'est ce prix qui sera appliqué par tous les autres éleveurs pendant toute la journée. C'est au moment des négociations que rentrent en jeu les courtiers. Ils essayent de déstabiliser le marché en spéculant. L'avantage de ces courtiers est qu'ils ont un carnet d'adresses plein. Si par exemple un éleveur ne trouve pas comment écouler sa marchandise, ils lui trouvent de suite preneur. Et vice-versa, si les vendeurs ne trouvent pas de marchandises, ils appellent ces courtiers pour leur ramener de la marchandise. Cela a permis de tisser une relation de confiance entre eux, ce qui leur permet de contrôler le marché en échange de commissions».
Dans l'industrie du poulet, l'union a bien meilleur goût...
Les prix ne dépendent donc d'aucune logique: la viande à faible prix qu'était jadis le poulet, est devenue un luxe à cause de l'anarchie qui règne dans l'industrie du poulet. Pour solutionner ce problème, M.Saâdi Idir propose quelques solutions simples mais qui peuvent réguler le marché de la volaille. «Tout d'abord, je préconise l'instauration d'une union nationale des éleveurs, une des vendeurs et une des abattoirs.
Ces associations désignent chacune un représentant. Ces représentants auront à se réunir une fois par mois, ou par semaine pour s'entendre sur le prix du poulet. Un prix qui ne lésera pas les éleveurs et encore moins les consommateurs», recommande-t-il. «Au final, les plus grands perdants sont les consommateurs et les éleveurs, ce sont eux qui paient les pots cassés. Nous, on ne risque rien puisqu'on est des prestataires qui vendent comme ils achètent», soutient-il. «J'ai vu cela en Italie, qui est le pays de l'élevage de volaille par excellence, et cela marche très bien», témoigne-t-il. M.Idir réclame également la création d'un vrai marché de la volaille qui sera sous la tutelle de l'Etat. Cela lui permettra ainsi d'avoir l'oeil sur ce commerce. «Il est inadmissible qu'on vende du poulet sous un pont! Il n'y a aucune traçabilité: si une épidémie faisait son apparition ce sera la catastrophe assurée», avertit-il. «Les poules ont même des dents en Algérie», ironise-t-il.
D'ailleurs, en parlant d'épidémie il tient absolument à nous raconter une anecdote. «Lors de la pandémie de grippe aviaire, mon vétérinaire m'avait demandé si cette maladie m'inquiétait. Je lui avais répondu texto que je ne croyais pas à la grippe aviaire car si elle existait vraiment, dans les conditions où sont vendus les poulets cela aurait fait longtemps qu'on ne serait plus de ce mondé. Je vous assure, c'est la débandade totale». M.Idir tient également à mettre en garde contre les conventions. «L'instabilité des prix fait que les fournisseurs qui signent des conventions avec par exemple les cités universitaires jouent au poker. Ça passe ou ça casse. Et ça casse: le plus souvent les fournisseurs n'arrivent donc plus à honorer leurs contrats et se retrouvent dans la tourmente, et c'est ce qui fait qu'on retrouve souvent des problèmes avec le poulet...».
Akfa Volaille, l'assurance de la qualité
Voyant l'ingéniosité dont a fait preuve M. Idir dans ses propositions, nous nous sommes alors demandé ce que doit être son abattoir. Notre curiosité nous a poussés à lui demander de nous le faire visiter. Et l'on peut dire qu'on n'a pas été déçus par notre visite. Akfa volaille est une entreprise familiale qui a ouvert ses portes voilà 3 ans. Elle est installée au Hamiz (Plus précisément au quartier Sntp). Ce qui marque surtout dans cet abattoir est surtout l'hygiène qui nous donne l'impression d'être dans un bloc opératoire plutôt que dans un abattoir (On peut même dire qu'il est plus propre que certains blocs opératoires des hôpitaux du pays...). La famille Idir ne badine pas avec l'hygiène. Tout est passé au Karcher en fin de journée. Aucune odeur nauséabonde ne pollue l'atmosphère. Et pour cause, tout est automatisé.
Le sang est automatiquement récupéré par un système spécial dans des bidons. Les autres déchets ont également leur propre système de récupération. Le tout est ramassé à la fin de la semaine par une entreprise spécialisée dans le traitement de ce genre d'ordures. Tout est automatisé dans cette usine ultra moderne où les équipements viennent d'Italie. La seule chose manuelle est l'égorgement et l'éviscération des poulets.
Il faut également signaler que les poulets sont automatiquement déplumés par un appareil qui ne laisse aucune plume au sens propre du mot. Le poulet est aussi automatiquement lavé avec un jet d'eau à haute pression. Les poulets d'Akfa Volaille sont véritablement prêts à la consommation. Lavez, mettez-le au four et le tour est joué... Cette entreprise nous a vraiment laissés bouche bée par son professionnalisme. Ce genre d'initiative doit absolument être encouragé et servir d'exemple surtout quand on voit l'anarchie qui règne dans le marché de la volaille. En tout cas, bon Yennayer à tous, en espérant que d'ici là le poulet ne se laisse pas pousser des ailes...


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