12 nouvelles sont publiées ici dans ce recueil édité chez Casbah Editions, mêlant au pouvoir de la justice et de la sensualité, mysticisme, songes et sagesse d'un autre temps... Yasmina Khadra n'en finit pas de nous surprendre tant par la production foisonnante de ses oeuvres que par les sentiers pas si faciles à arpenter qu'il choisit. Après «L'Equation africaine», l'auteur de best-sellers algérien, comme on le surnomme dans l'Hexagone, vient de publier aux éditions Casbah un recueil d'une douzaine de nouvelles sous le nom générique de Les Chants cannibales (clin d'oeil à Les Chants de Maldoror?). Sans doute en relation avec l'appétit vorace de l'être humain prêt à «bouffer» son semblable, sans règle ni foi, ni loi, encore moins de raison ou de coeur. Bref, sans raisonnement ni tolérance, dans un monde où seuls la cupidité, le mépris et l'indifférence régentent ce monde froid et hostile. Des choses que l'on connaît certes, mais dont il faut constamment se souvenir pour tracer les frontières de nos limites. La première nouvelle qui ouvre ce recueil, est intitulée Wadigazen, du nom de ce vieux. Sorte de fable, alors qu'une femme est sur le point d'accoucher, cet homme du désert se remémore le passé. Sa longue litanie narre sa beauté et sa force, regrette les valeureux guerriers d'antan, les Touareg qui se sont transformés en brigands aujourd'hui. Dans El Aâr, c'est l'histoire d'une femme victime de sa générosité. Dans un village perdu, un homme frappe à sa porte, assoiffé et affamé. La femme n'a pu refuser de lui venir en aide. Et voilà qu'une rumeur enfle dans le village et le mari sommé de laver son honneur. Yasmina Khadra, qui vole toujours au secours des victimes, dénonce encore une fois ici la stupidité, l'ignominie de l'intolérance humaine, à travers une histoire bien imagée. Dans Les portes du ciel, «le monde n'est que leurre et incongruité», écrit-il. D'aucuns diront que l'auteur se morfond dans d'éternelles jérémiades sauf qu'il est nécessaire de s'en rappeler encore et toujours tant que la misère humaine persistera. Cette histoire pathétique à rebondissements raconte le tragique destin d'un nain, malchanceux, mal aimé car pas gâté par la nature. Un jour, gonflé à bloc par les propos merveilleux du marabout Sidi Fkih, qui lui promet femmes et merveilles au paradis, s'en va dans la rue, rêveur. Là, il rencontre à nouveau de jeunes adolescents qui se mettent à se moquer de lui. Le nain met derechef fin à sa vie. Le marabout vient constater le drame tout en regrettant l'acte irréfléchi de ce nain car quiconque se suicide en Islam va en enfer et pas au paradis... De nouveau un regard de mépris est jeté sur lui. Pas de chance ici-bas ni au Ciel... Dans Le faiseur de paix, un enfant scelle un marché avec un vieillard pour sauver sa mère, malade, à l'article de la mort. Certaines nouvelles se suivent et se ressemblent comme un chapelet de contes mystiques où règnent esprits maléfiques ballottés entre sagesse et parole d'un autre temps. Dans 19 juin 1956, 4 l'heures du matin on bascule dans l'histoire avec un grand H. Plane ici le fantôme du martyr Zabana. L'intuition d'une mère ne trahit jamais. D'Alger à Oran les souffrances du condamné lui percent le coeur. Une des plus longues nouvelles du recueil, Une toile dans la brume, évoque cette foi-ci la misère et la frustration de l' artiste en Algérie. Un artiste-peintre raconte ses déboires à un barman; ce dernier peine à se trouver un toit pour fonder un foyer. L'artiste noyé de chagrin nous rappelle combien «dans notre pays il n'est pire martyre que celui d'un artiste».: D'un autre côté il y a Sid Roho, deuxième portrait que Yasmina Khadra fait, celui d'un comédien bon vivant mais raté car malmené par le destin et le système, jusqu'au jour où le réalisateur Bachir Derraïs lui promet un bon rôle dans son film...La longue nuit d'un repenti décrit, comme son nom l'indique, la descente en enfer d'un repenti qui, pris de remords, n'arrive plus à dormir et distinguer le vrai du faux, la réalité du cauchemar. Dans sa folle confusion liée à son traumatisme, il achève son épouse avant le lever du soleil.. Le Caïd est l'histoire de Omar Darwich qui se vante après avoir fait de la taule, d'être une légende dans la ville en faisant peur aux gens. Mais bientôt, la ville lui reconnaît le statut de fou du village pour ses vantardises farfelues. Un jour, un flic est assassiné. Omar fait croire à tout le monde que c'est lui l'auteur. Son meilleur ami ne le croit pas et le somme de revenir à la raison. Déçu et meurtri de chagrin, Omar retourne chez lui. Son ami ne l'a pas cru quand il lui a dit qu'il cachait un revolver chez lui. Et une détonation ébranla l'immeuble... Dans l'Absence, l'histoire se déroule comme un songe, un jour de fin d'été, déclinée entre fantasme et rêverie. Elle fait basculer dans la tourmente le jeune Nasser, épris d'amour pour sa voisine, une jeune fille, appelée Nora. Est-ce un fantôme ou le fruit de son imagination (fantasme)? Dans Holm Marrakech c'est plus une aura d'étrangeté qui plane dans cette histoire. Jean Castel quitte Paris pour le Maroc et vient s'installer à Marrakech où il ouvre un magasin et devient un homme d'affaires riche et redoutable. Au-delà du mystère, cette nouvelle teintée d'un côté philosophique décrit un homme qui disparaît subitement pendant 30 jours suite à sa rencontre avec une belle et mystérieuse jeune femme. Ce qu'il pensait être juste une seule nuit d'amour se révèle donc être une éternité. Qui était-elle? Que symbolise-t-elle? «Qu'est-ce que le ridicule? le rêve ou le réveil?» lui demande-t-elle. Faut-il donc oser toucher ses rêves de ses doigts quitte à se perdre dans la vie? Doit-on mettre à exécution ses désirs à tout prix? Cette fille est-elle un cadeau du ciel, une bénédiction ou un calvaire pour cet homme qui n'a même pas assisté à l'enterrement de son père, trop occupé par ses affaires?... Yasmina Khadra nous fait pénétrer ici dans le royaume exquis de ses doutes, mais aussi ses idéaux et désirs combinés. Enfin, dans L'Incompris c'est l'histoire d'un poète qui se bat pour la justice et contre «l'abus», jusqu'à se faire mettre en prison et se faire aussi détester par sa femme. On reconnaît bien là les valeurs nobles de l'auteur de «L'Attentat» qui ne triche jamais, quitte à devenir l'ennemi de pas mal de monde. «J'espère que Les Chants cannibales traduiront la palette de mon écriture qui change en fonction des atmosphères et des rythmes que j'essaie d'articuler autour de mes personnages. Mes nouvelles n'ont pas la même structure ni le même ton. C'est une façon pour moi de domestiquer mes sujets et de bousculer ma vocation de romancier jusque dans ses derniers retranchements. Du lyrisme à la sécheresse du ton, je m'applique à restituer les émotions et les états d'âme sans lesquels aucune trame n'a de raison d'être», confie l'écrivain Yasmina Khadra.