Le procès du patron de la chaîne tunisienne Nessma, poursuivi pour «atteinte aux valeurs du sacré» après la diffusion en octobre du film Persepolis, qui avait entraîné des violences d'extrémistes islamistes, a brièvement repris lundi à Tunis dans une ambiance électrique. A l'issue d'une matinée totalement chaotique, le procès a finalement été reporté au 19 avril, repoussant encore l'épilogue de cette affaire explosive. «Procès test pour la démocratie et la liberté d'expression» pour les partisans de Nessma, «défense du sacré et des croyances religieuses» pour ses détracteurs: la ligne d'affrontement est sans nuance dans ce dossier. Le patron de la chaîne, Nabil Karoui, et deux autres personnes sont poursuivies pour «atteinte aux valeurs du sacré, atteintes aux bonnes mœurs et troubles à l'ordre public» pour avoir diffusé un film contenant une scène montrant Dieu, représentation proscrite par l'islam. La diffusion le 7 octobre par Nessma TV de Persepolis, film d'animation franco-iranien racontant la révolution iranienne et le régime Khomeiny à travers les yeux d'une fillette, avait suscité une vague de violences et de colère, quinze jours avant les élections en Tunisie. Des groupes d'extrémistes avaient tenté d'attaquer le 9 octobre le siège de la chaîne à Tunis puis la maison de Nabil Karoui quelques jours plus tard. «Je suis triste d'être là aujourd'hui, c'est un procès politique», a déclaré à son arrivée le patron de Nessma. L'audience a commencé pendant quelques minutes avant d'être suspendue en raison de la cohue et des altercations entre avocats, tandis qu'à l'extérieur pro et anti Nessma s'étaient mobilisés dès 08H00 du matin. «Le peuple veut la fermeture de Nessma!» «Vous, médias, lâches, sachez que la religion ne doit pas être diffamée! », « le peuple est musulman et ne cèdera pas!» criaient de jeunes salafistes. La défense de la chaîne Nessma avait de son côté mobilisé des ténors du barreau, des représentants d'ONG, et d'anciennes figures politiques, tel l'ancien Premier ministre tunisien Béji Caïd Essebsi, ovationné par la foule des partisans de Nessma. «Je suis venu apporter mon soutien moral pour défendre la liberté d'expression, c'est important car la Tunisie est à la croisée de chemins», a déclaré M. Caïd Essebsi, qui avait revêtu symboliquement sa robe d'avocat. Autre responsable politique, le dirigeant du parti Ettajdid (gauche) Ahmed Brahim, s'était déplacé pour protester contre «l'instrumentalisation des sentiments religieux». «Le pays connaît aujourd'hui des problèmes immenses, sociaux, économiques, et la solidarité nationale est nécessaire», a-t-il dit. «Les enjeux vont au-delà de M. Karoui et de Nessma», a déclaré Olivia Gré, représentante de RSF en Tunisie, reconnaissant que «certains Tunisiens s'étonnent de voir M. Karoui érigé en héraut de la liberté d'expression» alors que sa chaîne avait été pour le moins conciliante avec l'ancien régime de Ben Ali. Nessma TV, une chaîne satellitaire lancée en mars 2007, compte dans son capital les groupes Quinta Communications du producteur de cinéma tunisien Tarak Ben Ammar et Mediaset de Silvio Berlusconi, et était à l'origine essentiellement consacrée au divertissement. Elle s'est ouverte aux débats politiques après la révolution, et a souvent été accusée de faire de la «provocation». En octobre, les responsables politiques avaient mollement condamné les violences entraînées par la diffusion de Persepolis. Toutefois, le parti islamiste Ennahda a publié lundi une prise de position inhabituellement claire, jugeant que les poursuites judiciaires contre Nessma «ne représentaient pas la meilleure des solutions» et affirmant son «attachement à la liberté d'expression».