«C'est le procès de 10 millions de Tunisiens qui ont rêvé d'avoir un pays démocratique», a déclaré à son arrivée, le patron de Nessma, Nabil Karoui, à l'adresse des journalistes. Pour les Tunisiens, cette affaire est loin d'être celle d'une chaîne de télévision mais une affaire qui sera décisive pour l'avenir de la liberté d'expression. L'explosive affaire qui tient tout le peuple tunisien en haleine a été reportée. Après une matinée sur le fil du rasoir, chaotique, le juge de la 6e Chambre du tribunal de première instance de Tunis a décidé de reporter le procès au 19 avril prochain. Dès les premières heures de la matinée, l'ambiance était très tendue. Un climat de confrontation était perceptible. Ragaillardis par leur victoire aux dernières législatives, les islamistes bombaient le torse hier. Ils se comportaient réellement en maîtres des lieux. A quelques exceptions près, le décor rappelait étrangement celui d'Alger au début des années 1990. Un ouf de soulagement donc! pour ce premier round qui a focalisé les médias tunisiens, du Grand Maghreb et ceux de d'Europe. Jamais un procès à Tunis n'a drainé autant de journalistes et de caméras de télévisions. «Procès-test pour la démocratie et la liberté d'expression» pour les partisans de Nessma, «Défense du sacré et des croyances religieuses» pour ses détracteurs, la ligne d'affrontement est sans nuance dans ce dossier. C'est dans cette ambiance électrique que s'est déroulé hier le procès de la chaîne de télévision privée Nessma, poursuivie pour «atteinte aux valeurs du sacré» après la diffusion en octobre dernier du film Persepolis, qui avait entraîné des violences d'extrémistes islamistes. Face à des centaines de personnes rassemblées à l'entrée du tribunal nourries et fortes de la seule détermination à défendre «la liberté d'expression», des manifestants «salafistes» ont envahi les lieux scandant des slogans des plus provocateurs à l'adresse de ceux venus soutenir la cause de Nessma TV. Un face-à-face qui faillit tourner à l'affrontement. «Le peuple veut la fermeture de Nessma!» «Vous, médias, lâches, sachez que la religion ne doit pas être diffamée!», «Le peuple est musulman et ne cèdera pas!» criaient de jeunes salafistes. «Je suis venu apporter mon soutien moral pour défendre la liberté d'expression, c'est important car la Tunisie est à la croisée de chemins», a déclaré M.Caïd Essebsi, qui avait revêtu symboliquement sa robe d'avocat. Autre responsable politique, le dirigeant du parti Ettajdid (gauche), Ahmed Brahim, s'était déplacé pour protester contre «l'instrumentalisation des sentiments religieux». «Le pays connaît aujourd'hui des problèmes immenses, sociaux, économiques, et la solidarité nationale est nécessaire», a-t-il dit. La journée d'hier s'est résumée en une courte reprise du procès Nessma TV, avant son report quelques instants après. Ainsi, il faudra donc attendre trois mois pour connaître l'issue du procès dont les conséquences dépassent la seule chaîne Nessma TV. Pour les Tunisiens, cette affaire est loin d'être celle d'une chaîne de télévision mais celle qui sera décisive pour l'avenir de la liberté d'expression en Tunisie. En d'autres termes, «c'est le procès de 10 millions de Tunisiens qui ont rêvé d'avoir un pays démocratique», a déclaré à son arrivée, le patron de Nessma, Nabil Karoui, à l'adresse des journalistes. Pas moins de 145 avocats tunisiens ont été mobilisés et une dizaine d'autres venus de France et d'Algérie pour prendre part à ce procès. Plusieurs représentants d'ONG étaient aussi présents. Des journalistes venus du monde entier pour couvrir l'événement étaient frappés par autant de mobilisation. Pour rappel, l'affaire relative à la diffusion du film d'animation, Persepolis, par la chaîne de télévision privée tunisienne, Nesma, le 7 octobre, deux semaines avant l'élection de l'Assemblée constituante, a été transférée en premier lieu pour examen devant la chambre criminelle relevant du tribunal de première instance de Tunis. La raison: une scène du film montrant Dieu dans le film Persépolis, représentation proscrite par l'Islam. Une scène qui a poussé des groupes d'extrémistes à s'attaquer au siège de la chaîne Nessma TV puis à la maison de Nabil Karoui quelques jours plus tard. Trois personnes sont accusées dans cette affaire, dont Nabil Karoui, directeur de la chaîne, poursuivi pour «atteinte aux valeurs du sacré, atteinte aux bonnes moeurs et troubles à l'ordre public». L'affaire prévue une première fois pour le 17 novembre 2011, a été finalement reportée pour hier. Voilà qu'elle est de nouveau reportée, et ce pour la troisième fois. L'affaire reste suivie par les Tunisiens les plus épris de liberté de penser et de liberté de la presse. Une chose est sûre, la presse tunisienne ne veut pas rater son rendez-vous avec l'Histoire et n'abandonnera pas non plus l'odeur du «Jasmin de la révolution» face à un parfum d'islamistes qui tentent d'amorcer un régime pire que l'autocratie de Ben Ali. A suivre...